Gravure originale in folio, extraite du Voyage dans la Basse et la Haute Egypte de Vivant Denon.Planche composée d'une vue ainsi décrite par l'auteur:Plan de l'isle de Philée, située au-delà des cataractes du Nil, à un coude de ce fleuve, gisant dans sa longueur du nord-ouest au sud-est ; elle a à-peu-près 300 toises de long sur 120 de large ; elle est presque toute couverte des plus fastueux monuments de divers siecles ; le sud-ouest de sa partie supérieure est occupé par un beau rocher très pittoresque, dont l'aspect âpre et sauvage semble ajouter à sa magnificence, et faire valoir les belles lignes régulieres de l'architecture des temples qui l'avoisinent. Le courant du fleuve, venant frapper jusqu'au pied du rocher, lettre &, a dispensé de faire un quai dans cette partie ; au moment où manque le rocher commence un quai revêtu Z, d'environ 36 pieds de haut, décoré d'un tore, au-dessus duquel s'éleve un parapet à hauteur d'appui ; sur ce parapet s'élevent deux petits obélisques de grès, sans hiéroglyphes, et d'un travail médiocre ; il n'y en a plus qu'un debout. Le quai continue en talus, à la partie nord de l'isle, avec des poternes (n° 28) qui ouvrent et embarquent sur le fleuve : ce fut par où passerent les habitants lorsqu'ils se sauverent, et nous abandonnerent l'isle (voyez le journal, tome II, page 88) : n° 27 est une rampe qui amenoit du fleuve à une porte ; le mur se prolongeoit jusqu'à une autre porte, où il reprend, et va se perdre en ruine ; c'est là tout ce qui reste de la circonvallation égyptienne. Les deux portes sont belles et bien conservées (voyez planche LXXH, n° 2).Le n° 3 est un temple périptere ; les colonnes engagées jusqu'au tiers, les chapiteaux à gobelet surmontés d'une quadruple tête d'Isis (voyez pl. LX, n° 7), portant une architrave et une corniche sans couverture, et fermant de deux portes sans sommiers. N° 4, une galerie de 250 pieds de longueur ; cette galerie étoit en colonnes assez bien sculptées, à chapiteaux évasés, surmontés d'un dé, d'une architrave, et d'une gorge ; il y a des différences à presque tous les chapiteaux : cette partie de l'édifice étoit moins ancienne que le temple, mais plus que celle qui lui est parallele, n° 5, et qui, je crois, n'a jamais été achevée de construire, quoiqu'elle soit plus en ruine que la premiere ; elles servoient de corridor à nombre de cellules, n° 6, que l'on peut croire avoir été des chambres de prêtres.Le n° 10 sont deux pieces formant un édifice à part, un sanctuaire des plus anciens, et sans doute des plus révérés, car il paroît que c'est pour épargner son existence que l'on a gauchi toutes les lignes du plan général ; les sculptures sont en bas-reliefs précieusement sculptés.Le n° 9 sont deux grands môles en talus, de 47 pieds de large chacun et 22 pieds d'épaisseur, qui flanquent une grande et magnifique porte. Ils sont bordés aux angles par un tore, et surmontés d'une gorge ; les panneaux, couverts de deux rangs d'hiéroglyphes gigantesques, représentant cinq grandes divinités ; au bas, de grandes figures, tenant d'une main une hache levée, et de l'autre les cheveux d'un groupe de trente figures à genoux implorant leur clémence (voyez planche CXX, n° 7) ; au revers de cet édifice quatre figures de prêtres (planche CXXI, n° 9), portant un bateau, dans lequel est un emblème pareille à celui qui est dans le bateau du bas-relief du temple d'Eléphantine (voyez planche CXXVIII, n° 5) ; aux deux côtés de la porte il y avoit deux petits obélisques en granit, de 18 pieds d'élévation , couverts d'hiéroglyphes bien purement sculptés, et devant étoient deux sphinxs de 7 pieds de proportion ; tout cela est renversé.Le n° 11 est une autre cour, de 80 pieds sur 45 , flanquée de deux galeries en colonnes , derriere lesquelles à droite est une suite de cellules de 10 pieds de profondeur, et à gauche un édifice particulier, composé de deux portiques ( n° 13 et 14 ), et de trois chambres de diverses grandeurs, se communiquant les unes aux autres, et s'ouvrant sur les portiques: c'est le seul que j'aie vu de ce genre ; s'il étoit plus éclairé, on pourroit croire que c'auroit été un principal appartement ; son exécution est très soignée, et son effet très pittoresque. Le n° 15 est encore un sanctuaire, plus petit que tous les autres, appuyé contre deux autres môles en talus, d'un tiers moins grands que les premiers, et servant de portail à l'édifice le plus grand et le plus régulier de tout ce groupe: la piece qui suit, n° 17 et n° 18, est une espece de portique, décoré de dix colonnes et de huit pilastres de 4 pieds de diametre, aussi magnifique qu'élégant ; les colonnes et les murs couverts en tableaux hiéroglyphiques, sculptés dans le massif, perfectionnés en stucs , et peints ; le portique et deux retours couverts en plafonds en plate-bandes, sculptés et peints en tableau astronomique, ou en fond d'azur avec des étoiles blanches. La partie numérotée 17 est à ciel ouvert, qui produit un beau jour, et un des plus beaux effets d'architecture : un tableau exact fait avec les couleurs naturelles seroit aussi imposant et aussi agréable qu'il seroit neuf et curieux ; le relief de l'architecture et de la sculpture donnant des ombres aux teintes plates de la peinture, acheve ici de la faire tourner; elle prend une harmonie et une magnificence dont je fus étonné : je ne pouvois m'arracher de cette superbe et étonnante piece, dont il faudroit dessiner tous les détails, je n'eus le temps que d'en prendre le plan (voyez le journal tome II, page 91). A ce portique ouvert succédoit la partie fermée du temple, de 60 pieds de profondeur sur 30 de large, divisée dans la longueur en quatre pieces communiquant par quatre portes diminuant d'ouverture ; la premiere de 7 — 4 , la seconde de 6—4, la troisieme de 5—6, la quatrieme de 4—8 ; un coup-d'œil sur le plan donne une idée plus nette qu'une description, où la répétition des mêmes expressions distrait plutôt l'attention qu'elle n'éclaire l'imagination : il seroit bien difficile d'assigner l'usage de ces diverses pieces, dont il y en a de si longues, si élevées, si étroites, si ornées, et si obscures ; dans la piece du fond est encore un autel ou un piédestal renversé, et à l'angle droit, n° 22, est une espece de tabernacle ou temple monolite, portant pour décoration la porte d'un temple de 7 pieds de hauteur sur 3 pieds de largeur, et 2 pieds 8 pouces de profondeur, d'une seule pierre de granit : on voit encore dans la pierre le creux où étoient scellés les gonds de la porte, qui avoit 3 pieds de haut sur 1 pied 6 pouces de large ; dans la piece latérale, à droite, il y avoit en même matiere un même monument, dont j'ai fait un dessin à part, n° 1, planche XLI.Ces tabernacles étoient sans doute destinés, ou à renfermer ce qu'il y avoit de plus précieux dans les temples, comme les choses sacrées, l'or, ou les pierreries, ou peut-être le dieu lui-même ; dans ce cas ce ne pouvoit être qu'un reptile ou un oiseau, et la porte auroit été une grille, pour laisser de l'air à l'animal, s'il étoit vivant. J'ai trouvé depuis , sur un lange de momie, qui étoit de temps immémorial à la bibliotheque de l'académie française, et qui a passé depuis à celle de l'institut, la représentation d'un de ces petits temples, avec une porte grillée et fermée, et un autre avec la porte ouverte, un oiseau dans le temple, et un homme qui lui apporte à manger, et un troisieme, où le gardien des oiseaux les surveille pendant qu'ils prennent l'air (voyez planche CXXV, n° 13 , 16 et 17). Cette découverte ne me paroit laisser aucun doute sur l'usage de ces sanctuaires monolites.Après cette suite d'édifices le monument le plus considérable est un portique carré-long, n° 25, de 64 pieds de long sur 44 de large ; quatre colonnes de face, et cinq sur la partie latérale ; deux portes de 9 pieds sans sommiers ; cet édifice, ouvert pour le ciel, n'étoit clos que par un soubassement, qui n'arrivoit qu'à la moitié de la hauteur de la colonne ; ce monument, élevé sans doute dans les derniers moments de la puissance égyptienne, n'a jamais été fini; mais ce qui en existe atteste que l'art étoit arrivé alors à son dernier degré de perfection : les chapiteaux sont les plus beaux, les plus ingénieusement composés, et les mieux exécutés de tous ceux que j'ai vus en Egypte ; le lotus y est enlacé avec une grace infinie avec les volutes du chapiteau ionique et composite ; il n'y a que deux panneaux de soubassement qui aient été achevés. Le lotus étoit l'ornement qui régnoit partout dans cet édifice.Le n° 23 est encore un sanctuaire, très difficile à séparer de ses propres décombres et de ceux des autres édifices.N° 24 est un petit sanctuaire d'une conservation parfaite ; la noblesse de ses proportions fait illusion sur la petitesse de ses dimensions ; il consiste en un portique décoré de deux colonnes, et un sanctuaire de 11 pieds 6 pouces de profondeur sur 8 pieds de large ; les ornements en sont très finis, et d'un goût exquis ; c'est un véritable temple à antes, amphiprostyle (voyez sa frise, planche CXVI, n° 1). Le n° 28 sont des parapets bastionnés, qui peuvent faire croire que toute cette isle a été enceinte de murailles : il est pourtant possible que celle-ci soi de construction romaine, comme l'est certainement la fabrique à laquelle elles viennent aboutir, lettre A, qui servoit de port ou d'arrivage ; les voûtes et le style dorique de ces ruines ne laissent aucun doute que ce ne sont plus ici des constructions égyptiennes : seroit-ce une douane romaine ? une rampe en gradin, et un petit écueil vis-à-vis en font encore une petite rade pour les bateaux.La lettre D est une muraille, décorée de pilastres doriques, vis à-vis desquels des bases de colonnes annoncent qu'il y avoit une galerie couverte, et derriere la muraille d'autres édifices ruinés.Le monument de la lettre E est la ruine d'une église grecque, avec sa nef et le chœur fermé ; elle avoit été construite de matériaux antiques, aux sculptures desquelles on avoit ajouté des croix, des rinceaux, et autres ornements dans le style du temps.Le reste de l'isle n'offre plus que quelques petites cultures faites dans le terrain, amassées par les alluvions du fleuve ; et quelques plantations d'arbres, qui se marient admirablement bien avec les rochers, les monuments, le fleuve, et de beaux fonds, offrent à chaque instant les tableaux les plus variés et les plus intéressants.Au sud de l'isle, lettre K, au-delà du fleuve, le pays est cultivé et abondant ; au nord, lettre M, est une autre isle, beaucoup plus grande que Philée, tout hérissée de rochers de granit ; dans une vallée, à travers des palmiers, on trouve la ruine, lettre H, composée d'un sanctuaire fort dégradé ; quatre colonnes à chapiteau évasé et fort élégant formoient un portique devant le sanctuaire ; des fabriques moins anciennes, et cependant plus détruites, sont encore défigurées par un cintre repris dans le massif, ouvrage de la catholicité ; à la partie la plus orientale de la carte, lettre L, est un rocher en forme de siege, figuré par deux pointes de granit.Rousseurs, une discrète trace de pliure angulaire, un infime accroc marginal habilement restauré à l'aide d'un morceau de filmoplast, sinon bel état de conservation.Publié pour la première fois en deux volumes, dont un atlas de gravures, chez Didot, en 1802, le 'Voyage dans la Basse et la Haute Égypte' connut un tel succès qu'il fut traduit dès 1803 en Anglais et en Allemand, puis quelques années plus tard en Hollandais et en Italien, notamment. Presque toutes les planches sont dessinées par Denon, qui en a aussi gravé lui-même un petit nombre, notamment des portraits d'habitants d'Egypte, qui ont encore gardée toute la fraîcheur d'esquisses prises sur le vif (nos 104-111). Une bonne vingtaine de graveurs ont également collaboré à la création des eaux-fortes dont Baltard, Galien, Réville et d'autres.Dominique Vivant, baron Denon, dit Vivant Denon, né à Givry le 4 janvier 1747 et mort à Paris le 27 avril 1825, est un graveur, écrivain, diplomate et administrateur français. A l'invitation de Bonaparte, il se joint à l'expédition d'Egypte en embarquant dès le 14 mai 1798 sur la frégate " La Junon ". Protégé par les troupes françaises, il a l'opportunité de parcourir le pays dans tous les sens, afin de rassembler le matériau qui servit de base à son travail artistique et littéraire le plus important. Il accompagne en particulier le général Desaix en Haute Egypte, dont il rapporte de très nombreux croquis, lavis à l'encre et autres dessins à la plume, à la pierre noire, ou à la sanguine. Il dessine sans relâche, le plus souvent sur son genou, debout ou même à cheval, et parfois jusque sous le feu de l'ennemi. A l'issue d'un voyage de 13 mois durant lesquels il dessine plusieurs milliers de croquis, Vivant Denon rentre en France avec Bonaparte, et devient le premier artiste à publier le récit de cette expédition. Les 141 planches qui accompagnent son Journal retracent l'ensemble de son voyage, depuis les côtes de la Corse jusqu'aux monuments pharaoniques de la Haute Egypte. Bonaparte le nomme ensuite directeur général du musée central de la République, qui devient le musée Napoléon, puis le musée royal du Louvre et administrateur des arts. En 1805, Vivant Denon relance le projet de la colonne Vendôme, qui avait été suspendu en 1803. Il organise ensuite des expéditions dans toute l'Europe impériale pour amasser les objets d'art, qui sont pillés pour être emportés au Louvre. En 1814, Louis XVIII le confirme à la tête du Louvre, dont une aile porte encore son nom aujourd'hui. Il est considéré comme un grand précurseur de la muséologie, de l'histoire de l'art et de l'égyptologie.