Gravure originale in folio non rognée, extraite du Voyage dans la Basse et la Haute Egypte de Vivant Denon.
Planche composée d'une vue ainsi décrite par l'auteur:
Plan de la bataille d'Aboukir.
Voyez le récit de cette bataille dans le journal, tome II, page 333 ; les renvois explicatifs sont au bas du plan. Je joins ici le rapport militaire fait par le général Berthier, dans son ouvrage intitulé 'Relation des campagnes du général Bonaparte en Égypte et en Syrie', afin de ne rien laisser à desirer relativement à cette intéressante bataille.
«Bonaparte arrête les colonnes, et fait ses dispositions d'attaque.
Le général de brigade Destaing, avec ses trois bataillons, marche pour enlever la hauteur de la droite de l'ennemi, occupée par mille hommes ; en même temps un piquet de cavalerie a ordre de couper ce corps dans sa retraite sur le village.
La division Lannes se porte sur la montagne de sable, à la gauche de la premiere ligne de l'ennemi, où il y avoit deux mille hommes, et six pieces de canon ; deux escadrons de cavalerie ont l'ordre d'observer et de couper ce corps dans sa retraite.
Le reste de la cavalerie marche au centre. La division Lanusse reste en seconde ligne. Le général Destaing marche à l'ennemi au pas de charge ; celui-ci abandonne ses retranchements, et se retire sur le village ; la cavalerie sabre les fuyards. Le corps sur lequel marchoit la division Lannes, voyant que la droite de sa premiere ligne est forcée de se replier, et que la cavalerie tourne sa position, veut se retirer ; après avoir tiré quelques coups de canon, deux escadrons de cavalerie et un peloton des guides coupent la retraite, et forcent à se noyer dans la mer ce corps de deux mille hommes ; aucun n'évite la mort : le commandant des guides à cheval, Hercule, est blessé.
Le corps du général Destaing marche sur le village, centre de la seconde ligne de l'ennemi ; il le tourne en même temps que la trente-deuxieme demi-brigade l'attaque de front ; l'ennemi fait une vive résistance, sa seconde ligne détache un corps considérable par sa gauche pour venir au secours du village ; la cavalerie le charge, le culbute, et poursuit les fuyards, dont une grande partie se précipite dans la mer.
Le village est emporté, l'ennemi est poursuivi jusqu'à la redoute, centre de sa seconde position ; cette position étoit très forte, la redoute étoit flanquée par un boyau qui formoit à droite la presqu'isle jusqu'à la mer ; un autre boyau se prolongeoit sur la gauche, mais à peu de distance de la redoute ; le reste de l'espace étoit occupé par l'ennemi, qui étoit sur des mamelons de sable et dans des palmiers.
Pendant que les troupes reprennent haleine, on met des canons en position au village et le long de la mer, on bat la droite de l'ennemi et sa redoute ; les bataillons du général Destaing formoient au village qu'ils venoient d'enlever le centre d'attaque en face de la redoute ; ils ont ordre d'attaquer.
Le général Fugiere reçoit l'ordre de former en colonne la dix-huitieme demi-brigade, et de marcher le long de la mer, pour enlever au pas de charge la droite des Turks ; la trente-deuxieme, qui occupoit la gauche du village, a l'ordre de tenir l'ennemi en échec, et de soutenir la dix-huitieme.
La cavalerie, qui formoit la droite de l'armée, attaque l'ennemi par sa gauche ; elle le charge avec impétuosité à plusieurs reprises ; elle sabre et force à se jeter à la mer tout ce qui est devant elle : mais elle ne pouvoit rester au-delà de la redoute ; se trouvant entre son feu et celui des canonniers ennemis, emportée par sa valeur dans ce défilé de feux, elle se replioit aussitôt qu'elle avoit chargé ; et l'ennemi renvoyoit de nouvelles forces sur les cadavres de ses premiers soldats.
Cette obstination et ces obstacles ne font qu'irriter l'audace et la valeur de la cavalerie ; elle s'élance et charge jusque sur les fossés de la redoute, qu'elle dépasse ; le chef de brigade Duvivier est tué ; l'adjudant-général Roze, qui dirige les mouvements avec autant de sang-froid que de talents le chef de brigade des guides à cheval, Bessieres, l'adjudant-général le Turq, sont à la tête des charges.
L'artillerie de la cavalerie, celle des guides prennent position sous la mousqueterie ennemie, et par le feu de mitraille le plus vif concourent puissamment au succès de la bataille.
L'adjudant-général le Turq juge qu'il faut un renfort d'infanterie ; il vient rendre compte au général en chef, qui lui donne un bataillon de la soixante-quinzieme ; il rejoint la cavalerie ; son cheval est tué ; alors il se met à la tête de l'infanterie ; il vole du centre à la gauche pour rejoindre la dix-huitieme demi-brigade, qu'il voit en marche pour attaquer les retranchements de la droite de l'ennemi.
La dix-huitieme marche aux retranchements ; l'ennemi sort en même temps par sa droite ; les têtes des colonnes se battent corps à corps ; les Turks cherchent à arracher les baïonnettes qui leur donnent la mort, ils mettent le fusil en bandouliere , se battent au sabre et au pistolet : enfin la dix-huitieme arrive aux retranchements ; mais le feu de la redoute, qui flanquoit du haut en bas le retranchement où l'ennemi s'étoit rallié, arrête la colonne : le général Fugiere, l'adjudant-général le Turq, font des prodiges de valeur ; le premier reçoit une blessure à la tête, il continue néanmoins à combattre ; un boulet lui emporte le bras gauche, il est forcé de suivre le mouvement de la dix-huitieme, qui se retire sur le village dans le plus grand ordre en faisant un feu très vif. L'adjudant général le Turq, qui avoit fait de vains efforts pour déterminer la colonne à se jeter dans les retranchements ennemis, s'y précipite lui-même ; mais il s'y trouve seul, et y reçoit une mort glorieuse ; le chef de brigade Morangié est blessé.
Une vingtaine de braves de la dix-huitieme reste sur le terrain ; les Turks, malgré le feu meurtrier du village, s'élancent des retranchements pour couper la tête des morts et des blessés, et obtenir l'aigrette d'argent que leur gouvernement donne à tout militaire qui apporte la tête d'un ennemi.
Le général en chef avoit fait avancer un bataillon de la vingt-deuxieme légere, et un autre de la soixante-neuvieme sur la gauche de l'ennemi ; le général Lannes, qui étoit à leur tête, saisit le moment où les Turks étoient imprudemment sortis de leurs retranchements ; il fait attaquer la redoute de vive force par sa gauche et par sa gorge; la vingt-deuxieme et la soixante-neuvieme, un bataillon de la soixante-quinzieme, sautent dans le fossé, et sont bientôt sur le parapet et dans la redoute, en même temps que la dix-huitieme, s'étoit élancée de nouveau au pas de charge sur la droite de l'ennemi.
Le général Murat, qui commandoit l'avant-garde, qui suivoit tous les mouvements, et qui étoit constamment aux tirailleurs, saisit le moment où le général Lannes lançoit sur la redoute les bataillons de la vingt-deuxieme et soixante-neuvieme pour ordonner à un escadron de charger, et de traverser toutes les positions de l'ennemi jusque sur les fossés du fort ; ce mouvement est fait avec tant de précision, avec tant d'impétuosité et d'à-propos, qu'au moment où la redoute est forcée, cet escadron se trouvoit déja pour couper à l'ennemi toute retraite dans le fort : la déroute est complete ; l'ennemi en désordre, et frappé de terreur, trouve partout les baïonnettes et la mort ; la cavalerie le sabre ; il ne croit avoir de ressource que dans la mer ; dix-mille hommes s'y précipitent, ils y sont fusillés et mitraillés : jamais spectacle aussi terrible ne s'est présenté ; aucun ne se sauve ; les vaisseaux étoient à deux lieues dans la rade d'Aboukir : Mustapha pacha, commandant en chef l'armée turke, est pris avec deux cents Turks ; deux mille restent sur le champ de bataille ; toutes les tentes, tous les bagages restent au pouvoir des Francais. »
Discrètes rousseurs, petites mouillures, sinon bel état de conservation.
Publié pour la première fois en deux volumes, dont un atlas de gravures, chez Didot, en 1802, le 'Voyage dans la Basse et la Haute Égypte' connut un tel succès qu'il fut traduit dès 1803 en Anglais et en Allemand, puis quelques années plus tard en Hollandais et en Italien, notamment. Presque toutes les planches sont dessinées par Denon, qui en a aussi gravé lui-même un petit nombre, notamment des portraits d'habitants d'Egypte, qui ont encore gardée toute la fraîcheur d'esquisses prises sur le vif (nos 104-111). Une bonne vingtaine de graveurs ont également collaboré à la création des eaux-fortes dont Baltard, Galien, Réville et d'autres.
Dominique Vivant, baron Denon, dit Vivant Denon, né à Givry le 4 janvier 1747 et mort à Paris le 27 avril 1825, est un graveur, écrivain, diplomate et administrateur français. A l'invitation de Bonaparte, il se joint à l'expédition d'Egypte en embarquant dès le 14 mai 1798 sur la frégate " La Junon ". Protégé par les troupes françaises, il a l'opportunité de parcourir le pays dans tous les sens, afin de rassembler le matériau qui servit de base à son travail artistique et littéraire le plus important. Il accompagne en particulier le général Desaix en Haute Egypte, dont il rapporte de très nombreux croquis, lavis à l'encre et autres dessins à la plume, à la pierre noire, ou à la sanguine. Il dessine sans relâche, le plus souvent sur son genou, debout ou même à cheval, et parfois jusque sous le feu de l'ennemi. A l'issue d'un voyage de 13 mois durant lesquels il dessine plusieurs milliers de croquis, Vivant Denon rentre en France avec Bonaparte, et devient le premier artiste à publier le récit de cette expédition. Les 141 planches qui accompagnent son Journal retracent l'ensemble de son voyage, depuis les côtes de la Corse jusqu'aux monuments pharaoniques de la Haute Egypte. Bonaparte le nomme ensuite directeur général du musée central de la République, qui devient le musée Napoléon, puis le musée royal du Louvre et administrateur des arts. En 1805, Vivant Denon relance le projet de la colonne Vendôme, qui avait été suspendu en 1803. Il organise ensuite des expéditions dans toute l'Europe impériale pour amasser les objets d'art, qui sont pillés pour être emportés au Louvre. En 1814, Louis XVIII le confirme à la tête du Louvre, dont une aile porte encore son nom aujourd'hui. Il est considéré comme un grand précurseur de la muséologie, de l'histoire de l'art et de l'égyptologie.