Édition originale consistant en 15 numéros en 15 livraisons, abondamment illustrée de photos en noir et blanc. Bien complet du numéro spécial « Hommage à Picasso » (nº 3 de 1930) et de la table des matières de l’année 1929, un cahier séparé de 8 pages imprimées en noir sur papier couché et agrafées.
Quelques dos légèrement insolés sans gravité, petites rousseurs en marges de certains plats.
Collection complète de cette revue mythique et non conformiste lancée par Georges Bataille, donnant une place aux « domaines de l’art et du savoir non reconnus par la culture officielle ou controversés : la littérature populaire, le jazz, le café-concert, la publicité, la vie quotidienne » (Annie Pirabot) ainsi que objets et arts dits primitifs.
Textes de Jean Babelon, Jacques Baron, Georges Bataille, Alejo Carpentier, Arnaud Dandieu, Robert Desnos, Carl Einstein, Roger Gilbert-Lecomte, Marcel Griaule, Juan Gris, Eugene Jolas, Marcel Jouhandeau, Michel Leiris, Georges Limbour, Marcel Mauss, Léon Pierre-Quint, Jacques Prévert, Raymond Queneau, Zdenko Reich, Paul Rivet, Georges Ribemont-Dessaignes, Georges-Henri Rivière, André Schaeffner, Roger Vitrac, etc.
Nombreuses contributions graphiques en pleine page de Hans Arp, Constantin Brancusi, Giorgio De Chirico, Alberto Giacometti, Juan Gris, Henri Laurens, Fernand Léger, André Masson, Joan Miró, Pablo Picasso, Joseph Sima, etc.
L’approche novatrice et pluridisciplinaire de cette revue l’a placée parmi les plus importantes publications du siècle : dissidente du surréalisme tyrannique d’André Breton, Documents se veut « machine de guerre contre les idées reçues » selon les dires de Bataille, et concentre un grand nombre d’auteurs de tous horizons – membres de l’Institut, peintres et poètes ex-dadaïstes et surréalistes, philosophes.... Elle restera célèbre pour ses rapprochements très inattendus : « Loin de juxtaposer des documents provenant de disciplines cloisonnées, loin de s’en tenir à l’habituelle subordination de l’image au texte, la revue du trio accorde à la photo, au dessin ou à l’image, le privilège d’être la matière la plus originelle ou la trace la plus originale des manifestations humaines » (Georges Sebbag).
ETHNOGRAPHIE
On a surtout retenu de Documents l’approche radicale de l’ethnographie portée par Bataille, fondée sur le matériel et détachée des considérations esthétiques et du traditionnel attrait pour l’exotisme. Ces opinions novatrices constituent une première ébauche du Collège de sociologie que Georges Bataille fondera quelques années plus tard en compagnie de Michel Leiris, Roger Caillois et Jules Moncrot. Elles sont par ailleurs portées dans la revue par de nombreuses photographies de masques, pierres, et autres productions artistiques extra-occidentales (art sibérien, chinois...) mises en regard avec des œuvres d’art moderne, des dessins de Klee ou des peintures de Picasso. Bataille fait également appel au sulfureux Hans Bellmer, qui illustrera la célèbre seconde édition de l’Histoire de l’œil, pour réaliser un terrifiant portrait de la déesse indienne de la destruction Kali.
PHOTOGRAPHIE
L’accent est notamment mis sur la photographie et parmi les plus célèbres contributions, figurent les clichés de Jacques-André Boiffard accompagnant l’essai de Bataille dans le numéro 6 consacré au thème du pied, montrant différents orteils en gros plan : « Le sens de cet article repose dans une insistance à mettre en cause directement et explicitement ce qui séduit, sans tenir compte de la cuisine poétique, qui n’est en définitive qu’un détournement […] » écrit Bataille en conclusion. La fascination de ce dernier pour l’anormal et le destructeur se reflète également dans le cliché fétichistes et sadomasochistes de Boiffard qui capture une femme portant un masque en cuir en illustration du « Caput Mortuum » de Michel Leiris (n° 8, 1930). On remarque également les œuvres d’Éli Lotar, photographes attitré de la revue avec Boiffard, notamment sa série macabre d’images d’abattoirs. Sont à mentionner les extraordinaires photos de plantes de Karl Blossfeldt dont cinq reproductions inédites accompagnent le texte de Bataille « Le langage des fleurs », (n° 3, juin 1929).
CULTURE POPULAIRE
Au fil des numéros, Documents affirme son intérêt pour ce que Robert Desnos appelle l’« Imagerie moderne » (n° 7, décembre 1929) : le roman de gare, ou encore la bande dessinée qui en est à ses débuts : « Quetzalcoatl, qui s’amuse à se laisser glisser du haut des montagnes assis sur une petite planche, plus que toute autre chose exprimable avec le malheureux répertoire des mots usuels, m’a toujours paru être un Pied Nickelé » écrira Bataille en introduction de son essai sur les Pieds nickelés (n° 4, 1930). Le Septième Art prendra également une place importante du discours anthropologique de la revue, notamment avec les trente photogrammes tirés de La Ligne générale de Carl Eisenstein montés sur une double page (n° 4, 1930). On y parle également du cinéma novateur de Buñuel et de la sortie de son Chien Andalou en 1930, du cinéma américain, ainsi que du jazz dont on commençait tout juste à faire l’exégèse : le contributeur de Documents [Michel Leiris] se fait alors penseur du jazz en tant que phénomène esthétique [...] Dès lors, le jazz est pour lui l’essence même de l’art et incite l’Occident à repenser ce que recouvre véritablement cette notion » (Diane Turquety).
Rare collection complète de cette revue révolutionnaire, héritière de l’esprit dada et pionnière de l’ethnographie.