Manuscrit autographe de Louis Pasteur. Une page à l’encre noire sur un feuillet, avec de nombreuses ratures, passages biffés et repentirs.
Virulente note préparatoire de Pasteur sur son vaccin contre la rage, à notre connaissance inédite.
Assailli par des légions d’adversaires autant scientifiques que politiques, le père de la révolution bactériologique déplore les « attaques aussi violentes qu’incompréhensibles » qu’il a subies. Pasteur annonce également la consécration populaire de son vaccin, alors que les souscriptions pour son futur Institut vont bon train.
C’est probablement pour la conclusion d’un rapport sur la rage que Pasteur rédige ses pensées sur la réception de son vaccin, sans doute entre 1886 et 1888. Le succès de la vaccination du petit Joseph Meister en 1885 suscite un véritable engouement du grand public, mais aussi une radicalisation de ses adversaires. Pasteur était devenu un génie pour certains, un charlatan et un vendu pour d’autres :
« Dois-je, en terminant, parler des attaques [biffé : et parfois] aussi violentes qu’incompréhensibles qui ont accueilli la découverte [biffé : imprévue] de la prophylaxie de la rage après morsure. [biffé : J’y avais songé ; j’avais même préparé un] Cela me semble bien inutile. Personnellement, je n’en suis pas atteint. [biffé : Les calomnies, les injures, sont toutes venues des hommes d’un certain parti] »
Les nombreux mots et phrases qu’il décide de barrer d’un trait de plume sont éminemment révélateurs : la découverte du vaccin de la rage était « imprévue » avait-il noté, avant de se rétracter. Décidée face à un pronostic de décès quasi certain, la première application clinique du vaccin sur Joseph Meister consistait en effet un pari risqué. L’imprévu se trouve moins dans le travail de Pasteur sur l’atténuation graduelle du virus et du temps d’incubation, qui avait déjà fait ses preuves sur plus de cinquante animaux, que dans la première administration du traitement humain. Pasteur a certainement enlevé cet adjectif pour éviter une salve supplémentaire de critiques sur la conduite de cet essai thérapeutique, dont l’audace sauva la vie du jeune alsacien. À moins que cet « imprévu » ne fasse référence à une autre étape de la découverte dont la littérature ne fait pas mention.
Alors que le texte conservé affirme son indifférence, Pasteur avait initialement préparé une phrase cinglante sur ses détracteurs : « Les calomnies, les injures, sont toutes venues des hommes d’un certain parti ». Sa découverte se mue en effet en affaire d’État : la troisième République dont il devient le héros était alors menacée par les luttes intestines et les difficultés économiques. Tandis que des patients venus du monde entier affluent dans son laboratoire de la rue d’Ulm pour son vaccin, « un certain parti », selon les dires de Pasteur, s’acharne à le discréditer. La gauche radicale composée de socialistes et de communards se ligue contre ses vaccins et ses expériences animales. Dans le corps médical, les chercheurs critiquent sa réticence à se soumettre à la communauté scientifique, et les médecins lui reprochent sa qualité de simple chimiste. Bien au-delà des peurs autour du vaccin lui-même, c’est l’intégrité même de Pasteur qu’on remet en cause : des républicains montrent du doigt son ancien attachement à l’Empire, tandis qu’Henri Rochefort en fait le symbole de la corruption des élites républicaines… la liste est longue.
Mais Pasteur avait « préparé » sa riposte comme il l’indique dans une phrase biffée du manuscrit : « J’y avais songé ». Car c’est aussi à sa campagne de promotion et d’intense défense médiatique qu’il doit sa victoire scientifique : « Pasteur parvient […] à mener une stratégie de conquête de l’opinion publique fondée sur l’usage du laboratoire comme lieu de savoir et de construction d’une nouvelle forme de validation de la vérité scientifique […] Bénéficiant, comme ses adversaires, des nouveaux médias, Pasteur est un des premiers savants à avoir cherché à utiliser la presse (comme La Revue scientifique) pour diffuser ses travaux et construire sa réputation auprès d’un grand public parisien et surtout provincial » rappelle Henri Chappey dans Pasteur et les antivax.
« Jamais découverte ne fut plus populaire »
Le succès de sa découverte avait en effet entraîné un immense soutien national pour la création d’un Institut consacré à la recherche, à l’enseignement et à la préparation des vaccins. Dès les premiers mois de 1886, un appel à souscription publique internationale avait été lancé pour financer sa construction. En patriote, Pasteur démontre que le peuple français a parlé en sa faveur en dépit des critiques : « Jamais découverte ne fut plus populaire. Les listes de souscription à l’Institut Pasteur, qui sont inscrites chaque jour au J[ourn]al officiel, en font foi. Pour l’honneur de mon pays, je voudrais effacer jusqu’au souvenir de la honte que ces calomnies ont jeté sur leurs auteurs ». Mais ce noble sentiment restera vain : l’appel aux dons pour l’Institut ne fera qu’enrager un peu plus ses adversaires, pour qui « cette nouvelle campagne de levée de fonds, orchestrée par la presse et soutenue par les autorités financières et politiques, relève du mensonge, sinon du scandale. » (Henri Chappey, ibid.) Pasteur lèvera des millions de francs pour son Institut, inauguré en 1888, qui propulsera la France dans l’ère vaccinale et fera tant d’émules à travers le monde.
Magistrale démonstration de conviction, révélatrice des sentiments - censurés par sa propre plume - de Pasteur face aux nombreuses résistances à son vaccin.