Édition originale comportant bien toutes les caractéristiques du premier tirage, un des exemplaires du service de presse.
Exceptionnel envoi de Céline, en page de garde, à la célèbre chanteuse Yvette Guilbert, à qui Céline chanta lui-même et proposa l’interprétation d’une de ses scandaleuses compositions (Katika la putain, plus tard renommée À nœud coulant : « À madame Yvette Guilbert en témoignage de ma profonde admiration. LF Céline. »
En dessous de l’envoi autographe, l’acteur Fabrice Luchini a inscrit ces quelques mots : « À Yvette Guilbert in memoriam. F. Luchini » ; sur la page de faux-titre suivante, Jean-François Balmer a rédigé à son tour : « Merci et bon voyage. J. F. Balmer. »
Enfin, accompagnant les dédicaces de Fabrice Luchini et de Jean-François Balmer, ont été encollés les tickets d’entrées à leurs lectures, à la comédie des Champs-Élysées pour Luchini, au Théâtre de l’Œuvre pour Balmer, du Voyage au bout de la nuit.
Notre exemplaire est présenté sous chemise-étui en demi-maroquin noir, dos à cinq nerfs, plats de papier fantaisie, contreplats de papier vert amande, étui bordé de maroquin noir, plats de papier fantaisie, ensemble signé Boichot.
Ce remarquable envoi de Céline donne à voir une facette importante de l’écrivain, adepte de la musique des mots. La chanson abonde d’ailleurs dans le Voyage au bout de la nuit – dès son célèbre épigraphe, la fameuse Chanson des Gardes suisses, que Céline prétendra avoir composée, et qui donne son titre au livre. L’écrivain fut également chansonnier et même interprète de deux de ses créations : « Règlement » et surtout « À Nœud coulant », chanson paillarde qu’il présentera d’abord comme la traduction d’un chant finnois. Il composa « À Nœud coulant » après la parution du Voyage pendant l’écriture de Mort à Crédit, en 1934-1936 et l’enregistra en 1955. Arnaud Marzorati remarquera la voix caverneuse de Céline, et sera « subjugué par son « arythmie » volontaire. Comme si le rythme de la vie pouvait être chaotique et ne pas se référer aux simples battements du cœur ; qu’il cherchât alors à narrer son histoire dans une autre mouvance que celle du consensus » (« Les Chansons de Céline », programme du 16 mai 2013, Cité de la musique).
Mais avant de passer lui-même en studio, Céline avait eu l’audace de proposer cette scandaleuse ritournelle à la grande Yvette Guilbert, dans les années 1930. Le grand ami de Céline, le peintre Henri Mahé, témoigna de la mémorable soirée :
« Pourquoi la grande Yvette Guilbert l’invita-t-elle un jour à l’aller voir chez elle ? Il bondit ! Elle lui présente Cécile Sorel, l’inoubliable Célimène. Il jubile et sans plus attendre il leur chante sa “Katika” toute neuve. Les compliments sont plutôt brefs et froids, à peine polis sur les bords. Non ! Elles ont autre chose en tête. Un film, un scénario qu’il devrait écrire d’après leurs idées deux sœurs triomphent dans le spectacle... L’une sur les scènes officielles du monde entier, l’autre dans les music-halls du monde entier. ». (Henri Mahé, La Brinquebale avec Céline, p. 72)
On ne sait si c’est à l’occasion de ce « concert » que Céline offrit son Voyage à la reine du caf’ conc’ parisien. Comme le remarque Michaël Ferrier, Céline « aura toute sa vie recherché l’amitié des vedettes de l’époque, certaines aujourd’hui oubliées (Guy Berry, Max Révol, Alfred Pizella), d’autres plus mémorables, comme Michel Simon ou Arletty (à laquelle il consacre un texte, Arletty, jeune fille dauphinoise, en 1948), qui firent une grande partie de leur carrière dans des opérettes jouées ou filmées. [Cette passion pour la chanson] trouve sans doute sa source dans l’enfance de Céline : le passage Choiseul, où sa mère tenait commerce de dentelles, était le siège du Théâtre des Bouffes-Parisiens d’Offenbach et d’un marchand de gramophones. » (Télérama hors série, juin 2011)
Cet étonnant exemplaire s’accompagne des envois de grands interprètes de la prose célinienne – les acteurs Fabrice Lucchini et Jean-François Balmer, qui ont tous deux donné vie à la musicalité du Voyage en l’adaptant sur la scène.