Colet adresse ce roman à une muse qui ne fut pas étrangère au scandale : la comtesse Guiccioli, devenue marquise de Boissy, fut le dernier grand amour de Byron, et avait même été l’amante du mari de Louise Colet, Hippolyte, alors que la femme de lettres entretenait une liaison très décriée avec l’académicien Victor Cousin. Louise Colet a d’ailleurs choisi le titre de marquise pour son propre personnage dans le roman, l’ambitieuse et charmante Stéphanie de Rostan. « On a tenté de me briser à l’occasion de ce livre », écrira-t-elle, pour y avoir conté ses passions et ses peines avec les chefs de file du romantisme et du réalisme, Musset et Flaubert – sous les traits d’Albert de Lincel, poète de génie malade et alcoolique, et Léonce, l’épistolier absent pour qui l’art importe plus que l’amour.
La marquise de Boissy avait toutes les raisons d’être sensible à ce roman révélant de tumultueuses relations avec des géants littéraires – Teresa Guiccioli avait elle-même consacré ses vieux jours à la biographie de son célèbre amant. Colet, poétesse romantique par excellence, vénérait le génie de Byron dont elle avait mis un vers en épigraphe de son premier recueil Fleurs du midi (1836) : « Child of the sun… soul of fire ». Les rares lettres conservées des deux femmes attestent justement de leurs échanges à propos de Byron – Colet lui annonce même dans la missive reliée en tête de cet ouvrage avoir transcrit intégralement une des lettres de la marquise : « Le livre que je vous adresse paraît seulement aujourd’hui […] je cite en note d’une page sur Lord Byron l’intéressante lettre que vous m’aviez écrite » (publiée entre les pp. 201-206 du présent ouvrage). Colet commence même la lettre par « Dear Marquise », peut-être un clin d’œil facétieux à sa qualité de maîtresse du poète britannique, et lui fait part de son imminent voyage en Italie : « J’irai à Gênes, Turin, Milan, Venise et enfin Florence […] je me fais une fête de vous revoir et de causer de mille choses ». Quelques semaines plus tard, Colet rejoindra la marquise, qui lui fera visiter Venise sur les pas de Byron : « Je suis ravie d’être conduite par une Guiccioli, nom si cher au poëte dans ces murs où quelque chose de lui palpite encore » (L’Italie de sItaliens, 1862, p. 307).
Superbe envoi d’une écrivaine libre et paradoxale sur son plus célèbre roman d’autofiction, à l’une des grandes muses littéraires du XIXe siècle.