« Sire, Dans un temps où les différents Ordres de l'Etat sont occupés de leurs intérets, où chacun cherche à faire valoir ses titres et ses droits; où les uns se tourmentent pour rappeller les siècles de la servitude et de l'anarchie; où les autres s'efforcent de secouer les derniers chainons qui les attachent encore à un impérieux reste de féodalité, les femmes, objets continuels de l'admiration et du mépris des hommes; les femmes, dans cette commune agitation, ne pourroient-elles pas aussi faire entendre leur voix ? »
Edition originale.
Pétition de 8 pages conservée sous couverture de papier ancien cousue.
Très rare lettre de doléances dans laquelle les femmes du Tiers-Etat confient leur détresse à Louis XVI, quelques mois seulement avant l'éclatement de la Révolution française.Elles commencent par dresser un tableau de la misérable condition de la femme du XVIIIe siècle : négligence de leur l'éducation, déterminisme en fonction de leur beauté physique, prostitution, dédain des parents pour leur enfant de sexe féminin...avant de proposer des solutions à ces fléaux : écoles gratuites, autonomie économique par l'interdiction aux hommes d'exercer "les métiers qui sont l'apanage des femmes", abolition de la prostitution.
Cette revendication s'achève sur un élogieux, mais peut-être ironique, paragraphe : «
Nous demandons à sortir de l'ignorance, pour donner à nos enfants une éducation sainte et raisonnable, pour en former des sujets dignes de vous servir. [...] nous leur transmettrons l'amour que nous avons pour Votre Majesté ; car nous voulons bien laisser aux hommes la valeur, le génie ; mais nous leur disputerons toujours le dangereux et précieux don de la sensibilité ; nous les défions de mieux vous aimer que nous ; ils courent à Versailles la plupart pour leurs intérêts, et nous, Sire, pour vous y voir, quand, à force de peine et le cœur palpitant, nous pouvons fixer un instant votre auguste Personne, des larmes s'échappent de nos yeux, et nous ne voyons en vous qu'un Père tendre, pour lequel nous donnerions mille fois la vie. »
Ce rare document constitue un précieux témoignage de la prise de conscience des femmes quant à leur place et leur rôle dans une société en phase de mutation.
« Dans la
Pétition des femmes du tiers état au roi, texte anonyme du 1er janvier 1789, les femmes réclament le droit à l'instruction et au travail [...] . Au cours de l'année 1789, quelques lettrées font entendre leurs voix dans des lettres, des brochures, des libelles, des pétitions envoyés à l'Assemblée. C'est de façon massive que les femmes apparaissent sur la scène politique en participant aux premières émeutes qui éclatent dès l'été 1788 et au printemps 1789. Elles ont toujours été très présentes dans les révoltes frumentaires, mais le contexte est cette fois différent et, tout comme les hommes, elles sont sensibles aux questions politiques. Après l'ouverture des États généraux le 5 mai 1789, elles apparaissent aussi bien dans la rue que dans les tribunes de la salle du Jeu de Paume à Versailles ou dans les jardins du Palais-Royal à Paris pour écouter les orateurs, pour l'heure plutôt masculins. Le 14 juillet 1789, lors de la prise de la Bastille, plusieurs témoignages assurent que des femmes se battent aux côtés des hommes. » (
Femmes et République, 2021)