Édition originale rare et recherchée, exemplaire de première émission.
Notre exemplaire est bien complet de la liste des souscripteurs et de l’avertissement qui furent supprimés lorsque le solde de cette édition passa aux mains d’un autre éditeur : Dion-Lambert et comprend bien la faute de pagination au tome 2 : page 164 au lieu de 364. Enrichi d’une lettre de l’auteur avec sa signature autographe, rédigée et datée du 14 avril 1839, par son secrétaire. Une page à l’encre noire sur un double feuillet. Légèrement ombrée sur l’extrémité supérieure, avec quelques rousseurs, trois déchirures marginales sans atteinte au texte dues au décachetage, et les plis habituels inhérents à l’envoi.
L'ensemble est enrichi d’ une exceptionnelle, prophétique et macabre lettre de François-René de Chateaubriand. Signée de la main chancelante de l’auteur, cette lettre vraisemblablement inédite a été rédigée par son secrétaire : « Vous connaissez la main de [Hyacinthe] Pilorge que j’employe pour remplacer la mienne souffrante de la goutte » explique l’auteur en guise d’introduction à la lettre.
Reliures en demi chagrin noir, dos lisses ornés de doubles filets dorés et doubles caissons estampés à froid, plats de cartonnage noir, très légers frottements sans aucune gravité sur certains plats, contreplats et gardes de papier à la cuve, tranches mouchetées, reliures de l’époque. Rousseurs éparses.
« Vous connaissez la main de Pilorge que j’employe pour remplacer la mienne souffrante de la goutte. Je vais lire avec un plaisir extrême vos souvenirs […] mais moi je suis mort, absolument mort et s’il me fallait écrire un mot dans un journal, j’aimerais mieux être enseveli à mille pieds sous terre. J’en ai fini avec la vie ; il me serait bien doux de ressusciter pour vous être utile […] Soyez bien sûr que personne ne prendra un intérêt plus réel et une part plus vive que moi à vos succès.
Tout à vous du fond de ma tombeChateaubriand
le 14 avril 1839 »
Cette missive fut dictée par l’écrivain à son secrétaire, qui apporta une aide précieuse à l’élaboration même des Mémoires : « Demeuré au service de Chateaubriand pendant vingt-cinq ans, Hyacinthe Pilorge fut le principal artisan de la transcription des Mémoires d’outre-tombe. Il avait pour mission de « mettre au propre » au fur et à mesure tout ce qu’écrivait ou dictait son patron. C’est à partir de sa copie que Chateaubriand pouvait ensuite se relire, puis se corriger ; et lorsque la nouvelle page se recouvrait à son tour de trop nombreuses ratures, Pilorge procédait à une nouvelle mise au net. C’est lui qui exécuta en 1840 la première copie intégrale des Mémoires d’outre-tombe. Ce manuscrit représenta longtemps le texte de référence. C’est alors un ensemble de plus de quatre mille pages, regroupées par livres dans des chemises de carton, et où chaque feuillet pouvait être corrigé, déplacé ou remplacé à volonté. Ce travail achevé (en 1841), le mémorialiste laissa « reposer” son œuvre pour quelque temps. Mais grâce à la souplesse de ce montage, les Mémoires d’outre-tombe ont encore la vocation de rester une œuvre ouverte, une sorte de work in progress. » (BnF)
Le destinataire de la lettre est l’auteur de « Souvenirs » que Chateaubriand refuse ici de promouvoir. L’écrivain parle déjà depuis la tombe, presque dix ans avant sa fin : « mais moi je suis mort, absolument mort et s’il me fallait écrire un mot dans un journal, j’aimerais mieux être enseveli à mille pieds sous terre. J’en ai fini avec la vie ; il me serait bien doux de ressusciter pour vous être utile ». Ces magistrales lignes sont empreintes d’un humour souvent rencontré dans les pages des Mémoires, qu’André Lebois appellera « l’expression sarcastique de la dérision que répand sur nos actes la certitude de la mort […] L’humour est une armure, l’ultime recours qui demeure aux sensibles, aux plus vulnérables, contre le mal de vivre. René en usa comme il faisait de tout : superbement » (André Lebois, L’Humour dans les Mémoires d’outre-tombe). Le correspondant éconduit pourrait être le comte de Marcellus, confident et interlocuteur de l’écrivain, qui publie en effet d’importants Souvenirs d’Orient cette année-là. Leurs carrières diplomatiques s’étaient croisées à Rome en 1822, où le comte avait fidèlement servi l’écrivain en tant que secrétaire d’ambassade, et entretenu ultérieurement avec lui des « relations suivies à Paris, puis une longue et intime correspondance » selon les dires du comte. Dans ses Souvenirs, le philhellène célèbre pour son rôle dans l’acheminement en France de la Vénus de Milo se réfère souvent aux écrits du maître : « pour jouir encore de ce pèlerinage, […] je relis, de préférence à mes notes, les descriptions de M. de Chateaubriand. […] Si donc mon récit paraissait inexact ou incomplet, l’Itinéraire est là pour tout corriger et tout dire ». Il est par ailleurs à souligner que contrairement à un Chateaubriand accablé par la maladie et tout à l’écriture de son grand œuvre, le comte de Marcellus s’essaiera avec plaisir à l’exégèse de l’œuvre de son ami. Il publiera en effet un commentaire, tome par tome, des Mémoires d’outre-tombe intitulé Chateaubriand et son temps (Paris, Michel Lévy, 1859).
Rare exemplaire en première émission d’un des plus importants textes de la littérature française, l’ensemble habillé d’élégantes reliures de l’époque. S’y ajoute la plus pertinente des additions épistolaires, dictée par Chateaubriand « du fond de [s]a tombe », rédigée par la main qui prêta son concours à la naissance de ses Mémoires éponymes.