Rare et luxueux carton d'invitation pour l’exposition organisée par le critique d’art André Warnod sur l'« art nègre », terme qu'il invente en 1910 dans la revue Comœdia pour désigner originellement la statuaire africaine et océanienne. Du 20 janvier au 20 février 1926, quatre peintres sont invités à exposer à la galerie d'art de la Grande Maison de Blanc, place de l'Opéra à Paris. Il s’agit très probablement des Français Marguerite Guy-Lemm (née Lemaire) et Luc-Albert Moreau, de l'Uruguayen Pedro Figari et du Hollandais Kees van Dongen.
Bel état de conservation, lettrage en creux gris clair sur un papier doux gris foncé, traces de pliure au coin supérieur droit.
La thématique de l'art nègre qu'André Warnod aborde à travers les œuvres picturales des quatre artistes de l'exposition ci-contre fait probablement écho à ses propres réflexions sur ce même sujet qu'il formula par écrit quelques années plus tôt :
« Il se pourrait fort bien qu'un jour, peut-être bientôt ; peut-être même avant que cette année qui commence soit terminée, qu'on se mette à découvrir la statuaire nègre et que, pour les générations qui viendront après la nôtre, telle œuvre de l'ancien Soudan soit considérée comme un chef-d'œuvre indiscutable ; un peu comme sont pour nous la Vénus de Milo, la Victoire de Samothrace ou encore cette pauvre Joconde. Il faut dire aussi que cet art nègre archaïque s'accorde très bien avec les œuvres d'artistes « contemporains » tout à fait d'avant-garde — peut-être les classiques des années futures — sait-on jamais ! Quand ce temps-là sera venu et même avant, peut-être, l'art nègre sera probablement celui qu'on montrera comme modèle aux aspirants artistes. L'art grec aura vécu et sera considéré comme une erreur qui aura duré plusieurs siècles. »
Comœdia, « Arts décoratifs et Curiosités artistiques », « L'art nègre », 2 janvier 1912
Par cette analyse, André Warnod introduit à sa manière l'art nègre dans un univers pictural occidental. Il l'envisage comme une forme artistique libérée de son caractère ethnographique et propre à supplanter le modèle classique gréco-romain. Quelques années plus tard, Warnod met en pratique sa pensée par cette exposition. Dans la Grande Maison de Blanc, il réunit des peintres de formation occidentale et y présente sa vision revisitée de l'art nègre comme mouvement pictural, ici incarnée par les toiles de Guy-Lemm, Moreau, Figari et van Dongen, ce dernier s'étant même désigné comme un « nègre blanc » dès 1910.
Beau carton d'invitation pour l'exposition d'André Warnod sur le (néo-)art nègre, qualifiée de « très curieuse » par la revue L'Europe nouvelle. Malgré les efforts de Warnod pour institutionnaliser son « art nègre » occidentalisé, cette forme artistique ne sera pas retenue par la postérité et n'obtiendra pas la distinction de « classique » qu'il espérait. Cette invitation constitue un rare témoignage de cette quête artistique des plus singulières.