Edition originale complète de la première série de la plus importante revue littéraire de la fin du XIXème siècle, qui contient les poèmes du recueil de Rimbaud Les Illuminations en édition pré-originale. Il n'a pas été tiré de grands papiers de cette revue au tirage très confidentiel, sauf 5 Japon pour la dernière livraison.
Reliures à la bradel en demi percaline marron, dos lisses ornés d'un fleuron central doré, doubles filets dorés en queues, date dorée en queue du premier volume, pièces de titre de chagrin rouge présentant de légères éraflures, coiffes supérieures affaissées, plats de papier à la cuve comportant des frottements, couvertures conservées pour chaque numéro, tranches inférieures frottées, étiquettes de description de libraires encollées en têtes des gardes du premier volume, reliures de l'époque.
Toute première parution des Illuminations rimbaldiennes, dans cette revue qui fut le refuge des poètes maudits, et fit découvrir Walt Whitman aux lecteurs français. La revue renferme le plus important ensemble de poèmes de Rimbaud jamais publiés de son vivant, la majorité paraissant pour la première fois.
Nombreuses contributions dont celles de Paul Verlaine, Stéphane Mallarmé, Auguste Villiers de L'Isle Adam, Charles Morice, Paul Adam, René Ghil, Jules Laforgue, Léo d'Orfer, Stendhal, Charles Henry, Stuart Merrill, Edouard Dujardin, Joris-Karl Huysmans, Félix Fénéon, Paul Bourget, Walt Whitman, Théodore de Wyzewa, Fedor Dostoïevski, Porphyre Kalouguine, Charles Vignier, Alfred Dehodencq, Jean Ajalbert, Jacques Casanova de Seingalt, Emile Verhaeren.
« En 1886 il [Rimbaud] était publié dans La Vogue. Le titre de la revue était une garantie de succès temporaire. Le sien fut durable, car les Illuminations, ainsi révélées, Une Saison en Enfer, ainsi redécouverte, dépassaient infiniment les colifichets à la mode et allaient à l’essentiel » (Pierre Brunel, Arthur Rimbaud, ou L’éclatant désastre).
La revue a en effet révélé Rimbaud au public en éditant, sous l’égide de Verlaine, l’intégralité du poème Les premières communions dans son premier numéro, et surtout Les Illuminations dans les numéros 5 à 9 du périodique, où se mêlent également onze poèmes en vers datant de 1872. C’est également grâce à sa réédition dans cette revue qu’Une Saison en enfer commence à être lu, alors que la quasi-totalité des exemplaires de l’édition originale étaient encore portés disparus. On y trouve également les deux premières strophes de son troublant poème Le Cœur volé, ainsi que Tête de faune.
Les poèmes des Illuminations connurent cette première impression au terme de multiples péripéties : les manuscrits, confiés à Verlaine lors de son ultime entrevue avec Rimbaud, passèrent de main en main avant de paraître en feuilletons à partir du 13 mai 1886 par le directeur de La Vogue Léo d’Orfer et son rédacteur en chef Gustave Kahn, un symboliste de la première heure. Après une querelle avec ce dernier, d’Orfer quitta le journal et emporta avec lui les manuscrits des cinq derniers poèmes des Illuminations, finalement publiés posthumement en 1895 chez Vanier. Verlaine procura des manuscrits pour La Vogue tout en faisant le deuil de cet époux infernal et poète de génie, qui avait définitivement tourné le dos à l’écriture. Comme le remarque Alain Bardel, « À partir du 7 juin, le nom de Rimbaud [mal orthographié, ‘Raimbaud’ p. 233] est précédé de la mention "feu" sur le sommaire de La Vogue. Le bruit de la mort du poète a en effet couru dans Paris. En réalité, Rimbaud se trouve à Tadjourah en train de préparer sa caravane, chargée des fusils qu'il compte vendre à bon prix à Ménélik II, roi de Choa. » Dans le onzième numéro, il est même qualifié d’ « équivoque et glorieux défunt » par les admirateurs de son oeuvre, qui ignoraient tout de ses activités en Abyssinie. Kahn poursuit la publication dans La Vogue des Illuminations, qui s’acheva dans le numéro 9 du 21-27 juin 1886. Toujours dans les pages de cette revue, il publia en septembre 1886 l’intégralité d’Une Saison en enfer, en trois numéros successifs, après la découverte inespérée d’un exemplaire de l’édition originale du recueil qui ne fut jamais mise dans le commerce.
Selon Michel Murat, l’édition originale des Illuminations quelques mois plus tard doit beaucoup à cette pré-originale de La Vogue, arguant que le jeune éditeur Félix Fénéon « n’a pas vu le manuscrit de près, et qu’il a composé la plaquette à partir de la pré-originale, sans retour au manuscrit ». Fénéon bousculera cependant l’ordre des poèmes, qui sera rétabli selon la configuration de La Vogue par les auteurs de la Pléiade de Rimbaud – ordre qui prévaut encore aujourd’hui jusque dans nos éditions les plus récentes.
D’aucuns considèrent Les Illuminations comme les derniers vers de Rimbaud, tous s’accordent à dire que leur influence sur la poésie et les arts sera immense, à commencer par Paul Claudel qui écrira à Mallarmé :
« Depuis le coup de foudre initial dont m’a frappé la livraison de La Vogue où je lus pour la première fois les Illuminations, je puis dire que je dois à Rimbaud tout ce que je suis intellectuellement et moralement » (lettre 26 juillet 1897, cité par André Guyaux, Rimbaud, L’Herne, 1993).
1886, la véritable « année vers-libriste » (Eric Athenot) de La Vogue ne s’arrête d’ailleurs pas à Rimbaud : « La publication dans La Vogue, du 28 juin au 2 août, de textes de [Walt] Whitman traduits par Laforgue allait accompagner l’éclosion du vers libre en France, entraîner Whitman dans la mouvance symboliste et lui assurer une visibilité pérenne en France […] 1886 associe, en les publiant conjointement, Laforgue, Whitman et Rimbaud dans des publications qui rendaient enfin visibles l’œuvre des deux derniers, jusqu’alors quasiment inédite en France » (L’appel de l’étranger, Traduire en langue française en 1886). C’est dans les pages de la revue que Laforgue initie la rencontre de ces deux géants, en publiant les toutes premières traductions de Leaves of Grass (Feuilles d’herbe) aux côtés de la première impression des Illuminations. Rimbaud et Whitman seront associés malgré eux au Symbolisme et aux débuts du vers libre, par leur présence dans cet organe du mouvement naissant. Verlaine rappellera également dans sa préface à l’édition originale le souffle anglophone qui enveloppe le recueil de Rimbaud, dont le titre aurait été inspiré de ses fameux voyages à Londres.
Cet importante quoiqu’éphémère revue contient en outre la deuxième série des Poètes maudits de Verlaine, Le Concile féerique de Jules Laforgue, et l'étude sur les peintres impressionnistes de Félix Fénéon, ainsi que le Thé chez Miranda de Jean Moréas et Paul Adam. Elle compta parmi ses collaborateurs Edouard Dujardin, Villiers de l'Isle-Adam, Charles Henry, Charles Morice, Huysmans ou encore Stéphane Mallarmé.
Un très rare exemplaire complet de cette revue, pièce indispensable à toute collection rimbaldienne. La parution de la Vogue marque un moment fondateur de l’édition des poèmes de Rimbaud, et sera considéré comme « la date réelle de publication de son œuvre » (André Guyaux). Elle permit aux lecteurs de découvrir l’œuvre du poète de l’ellipse et du bond (selon Saint-John Perse), du fils du Ciel (Mauriac), de l’ange ardent et chaste des Ardennes (Cocteau), l’anarchiste par l’esprit (Mallarmé), l’homme aux semelles de vent (Verlaine), du voyageur toqué (Delahaye).