Lettre autographe multicolore de Pablo Picasso à Max Pellequer, signée et datée par l’auteur du 13 juin 1957, à l’adresse de sa villa « La Californie ». 2 pages sur un feuillet, 22 lignes aux crayons vert, bleu et rouge sur un feuillet filigrané. Infimes traces de plis transversaux inhérents à l’envoi.
Exceptionnel témoignage de la passion de Pablo Picasso pour la tauromachie, thème récurrent de son art depuis ses toutes premières œuvres peintes dès l’âge de huit ans (« Le petit Picador jaune », 1899).
Pablo Picasso détaille pour Max Pellequer et sa femme l’organisation d’un séjour à Arles les 5, 6 et 7 juillet 1957, auquel l’artiste les invite avec une poignée d’amis. Avec un enthousiasme non dissimulé, il leur annonce avoir réservé leurs chambres au « Norpinus » [hôtel Nord-Pinus] et leurs places pour la corrida. Ce n’est qu’après ces informations que le peintre évoque le vernissage de son exposition au Musée Réatu et le dîner officiel avec le grand collectionneur Douglas Cooper et le maire d’Arles, Charles Privat : « Dîner Cooper & maire ». Une représentation d’« Aïda aux arènes » est également programmée durant cette escapade arlésienne qui se clôture le 7 par une magistrale « course de toros avec présence d’un roi nègre ».
Dans les années 1950, Pablo Picasso et sa compagne Jacqueline Roque fréquentent régulièrement les arènes d’Arles. Le peintre ne découvre pas la ville à cette époque ; fasciné par les portraits de Van Gogh, il peint sa première arlésienne en 1912, et sa dernière, sous les traits de Jacqueline, juste après cette lettre en 1958. Mais c’est plus encore son amour de la corrida qui liera définitivement l’Andalou et la capitale taurine de Provence. De ses Scène de corrida et courses de Taureaux, précoces œuvres barcelonaises proposées à Ambroise Vollard en 1901, au célèbre et omniprésent thème du Minotaure, Picasso fut l’un des principaux promoteurs de la tauromachie en France. En cette fin des années 1950, Arles devient pour le peintre le haut lieu de sa passion immortalisée en 1956 par David Douglas Duncan, qui le photographie dans les arènes d’Arles, captivé par les combats taurins.
Cette superbe lettre témoigne de l’excitation de l’artiste qui, au faîte de sa célébrité internationale, redevient, pour l’heure, un aficionado heureux de loger ses amis dans le légendaire hôtel « Nord-Pinus », connu pour héberger les toreros après leurs corridas. La tauromachie s’immisce également dans les autres événements majeurs présentés par l’artiste dans les 22 lignes de ce feuillet. Ainsi annonce-t-il le « vernissage » de sa première exposition au Musée Réattu qui met à l’honneur la figure du taureau dans l’œuvre de Picasso. Parmi les toiles qui seront exposées du 6 juillet au 2 septembre 1957, 38 œuvres de l’artiste seront inédites. Picasso, principal prêteur lors de cet événement, sera ironiquement absent au vernissage, trop occupé à peindre des portraits de Jacqueline à l’aide de plumes de pigeon. L’auteur poursuit sa lettre en proposant un dîner avec le collectionneur britannique Douglas « Cooper », qui, avec le Musée de Barcelone, sera invité à contribuer à l’exposition. Le « maire » d’Arles, Charles Privat, est la seconde personnalité conviée à ce dîner. Picasso et Privat, qui se rencontrent pour la première fois en avril 1957, entretiendront une fructueuse relation qui se conclura en 1971 par le don de l’artiste de 57 œuvres au Musée Réattu.
Dans la seconde partie de la lettre Picasso ajoute au programme une représentation de l’opéra « Aïda » de Verdi, témoignant ainsi de l’intérêt toujours vif de l’artiste pour les œuvres lyriques, plus de 30 ans après ses décors des ballets russes.
Picasso ne peut conclure sa lettre et le séjour de ses amis sans un ultime spectacle taurin, dont l’annonce elle-même semble un titre de tableau : « course de toros avec présence d’un roi nègre ». Nous ne savons pas quel dignitaire africain assista à la corrida de 1957, mais cet intérêt du peintre de 76 ans fait écho à sa fascination pour l’art premier, découvert dans ses premières années parisiennes et dont il possédait une des plus belles collections.
La composition de cette lettre mulitcolore nous donne à voir l’enthousiasme quasi juvénile avec lequel Picasso organise ce séjour. Passages soulignés, croix de toutes les couleurs, écriture précipitée au style télégraphique, allers-retours chronologiques, les mots courent sur la feuille comme des taureaux dans l’arène. En bon aficionado, le peintre achève cette corrida graphique sous la muleta rouge de sa signature.