Édition illustrée de 13 compositions d’Arthur Rackham en couleurs contrecollées sur carton fort sous serpentes légendées et 14 compositions en noir dans le texte par Arthur Rackham, dont un portrait d’Alice en frontispice, un des très rares 20 exemplaires sur japon, enrichis d’un signature autographe d’Arthur Rackham en justification, tirage de tête. Il existe quelques exemplaires hors commerce nominatifs sur ce même papier.
Cartonnage de l’éditeur en plein vélin, dos lisse titré à l’or et présentant une illustration dorée du Chat du Cheshire, premier plat estampé à l’or du titre et d’une illustration représentant deux animaux fantastiques, gardes et contreplats illustrés, tête dorée. Rares rousseurs.
Bel exemplaire du plus recherché des illustrés d’Arthur Rackham, un des rarissimes exemplaires sur papier Japon.
« Tel est le conte fantasque dont M. A. Rackham a fait pour le plaisir des yeux un poème vivant. Son art d’une élégance ingénieuse, son dessin raffiné et pittoresque, la fantaisie d’une imagination qui fait vivre les arbres et gonfle en personnages parlants nos humbles frères les animaux, est sans doute le seul, depuis celui de Gustave Doré, qui ait créé un monde. Monde tantôt effrayant, obscur et mouvementé, tantôt simple et fait d’une silhouette comme un paysage japonais, mais toujours nerveux et précis, d’une forme écrite et d’un jeu de lignes élégant.
Au milieu des monstres et des bêtes, parait fine, étonnée et blonde, jolie comme une demoiselle de Rossetti, la petite figure d’Alice, qui est la grâce humaine au milieu de la complication des choses. » (La Vie heureuse, n° 11, 15 nov. 1908)
En 1907, le chef-d’œuvre de Lewis Carroll, Les Aventures d’Alice au pays des merveilles, tomba dans le domaine public. Sept éditions virent le jour dans les décennies suivantes, faisant surgir plusieurs nouvelles illustrations d’Alice. Une question brûlait les lèvres : allaient-elles parvenir à égaler ou surpasser l’originale de 1865, née sous le crayon de John Tenniel ? Parmi les sept éditions, celle comportant les dessins d’Arthur Rackham rencontrera le plus vif succès, et deviendra, aux côtés des images de Tenniel, l’une des représentations les plus importantes de ce classique.
Rackham, qui avait le courage de s’attaquer à des œuvres « sacro-saintes », réalise l’exploit, non pas seulement d’illustrer, mais aussi d’enrichir de ses coups de pinceau et de son imagination débordante, le récit de Carroll et de le rendre « plus étonnant et plus amusant encore » (Anita Silvey, Children’s Books and their Creators Auguste Marguillier, mars 1912, Art et Décoration).
Les Aventures d’Alice au pays des merveilles est un livre que l’artiste connaissait intimement, l’ayant lu avec son père quand il était enfant. Dans sa relation adulte à l’œuvre, il lui tenait à cœur d’émerveiller à son tour les jeunes lecteurs. Rackham espérait même que ses images contribueraient à enrichir le vocabulaire visuel des enfants.
Cependant, si la postérité se rappellera ses illustrations, c’est par-dessus tout pour leur qualité esthétique. Comparées de nombreuses fois à Rossetti ou à Turner, les œuvres rackhamiennes ne furent pas exécutées dans la spontanéité ni avec facilité ; elles sont le résultat d’un travail méthodique et scrupuleux, parfois douloureux. Notre artiste contribua grandement à rendre au dessin ses lettres de noblesse comme forme d’art à part entière. Lorsqu’il dessine, Arthur Rackham emprunte à la peinture d’histoire ses procédés et ses codes : le décor est soigneusement planté à l’aide de modèles vivants. Dans son livre Lewis Carroll Observed: A Collection of Unpublished Photographs, Drawings, Poetry and New Essays, Edward Guiliano nous révèle les secrets de composition de l’artiste : pour le personnage de la Duchesse, il se tourne vers sa cuisinière. Le rôle d’Alice est donné à Doris Jane Dommett, qui l’interprète avec sérieux, mais émet quelques hésitations avant de poser pour la sixième planche, portant la légende :
« Une casserole d’une dimension extraordinaire faillit en passant, enlever le nez du bébé ». Lorsqu’elle demande à l’artiste si des assiettes seront jetées, ce dernier la rassure, en précisant toutefois qu’il les a déjà cassées, afin d’être certain de bien reproduire ce geste en dessin.
À la différence de John Tenniel, qui se concentrait presque exclusivement sur les personnages, les illustrations de Rackham nous plongent dans un univers construit, composé souvent de couleurs « grises, argentées, violacées ou brunâtres » et de paysages élaborés (Auguste Marguillier). De cette profusion de détails émane une prodigieuse liberté artistique, que l’artiste étend même à ses personnages ; son Alice ne présente plus aucune ressemblance avec l’enfant victorienne de Tenniel :
« Le véritable coup d’audace de Rackham est d’avoir mis sa petite héroïne au goût du jour. […] mais cette petite silhouette moderne nous transmet un message qui lui est propre. Elle nous dit que la porte du Pays des merveilles n’a jamais été fermée, qu’elle ne se fermera jamais, et que les enfants du vingtième siècle, petits et grands, tout comme leurs enfants et leurs petits-enfants, peuvent encore croquer de temps en temps le fruit enchanté de l’arbre Amfalula dans les branches duquel chante l’oiseau Dinkey. » (Philip Loring Allen, The Bookman, février 1908: Dodd, Mead and Company, New York)
Près d’un siècle plus tard, le message transmis par l’Alice de Rackham trouvera son apogée dans l’œuvre du cinéaste américain Tim Burton, fidèle adepte du merveilleux dans ses longs métrages. Lorsque sort en 2010 son interprétation cinématographique du chef-d’œuvre de Lewis Carroll, le réalisateur habite depuis 2008 dans l’ancienne maison de l’illustrateur anglais à Londres, où il a installé son bureau à l’endroit même où Rackham avait son atelier. Les images vives du film de Burton s’inspireront en grande partie des « petites merveilles » dessinées de Rackham, comme les qualifie Auguste Marguillier.
Les précieuses aquarelles de l’artiste sont reproduites ici dans un exceptionnel exemplaire de l’édition Hachette de 1908, en reliure plein vélin choisi exclusivement pour les tirages de luxe, qui évoque celle en vélin blanc du tout premier livre imprimé d’Alice au pays des merveilles, que Charles Lutwige Dodgson, alias Lewis Carroll, offrit en 1865 à la petite Alice Liddell. Au-delà de sa reliure, l’élégance de ce livre réside également dans sa prouesse technique. Anita Silvey nous rappelle que la publication de l’ouvrage en 1908 coïncide avec une période de perfectionnement de plusieurs techniques de pré-impression, qui permirent à l’image imprimée de ressembler avec plus de fidélité à l’œuvre originale.
Provenance : Maurice Feuillet, ex-libris manuscrit sur la page de faux-titre. Illustrateur de presse, notamment pour les grandes affaires judiciaires, mais aussi critique d’art et fondateur du Figaro artistique. Feuillet est resté célèbre pour avoir réalisé les croquis d’audience lors des procès d’Émile Zola en 1898 et d’Alfred Dreyfus en 1899.
Superbe exemplaire de luxe, l’un des très rares 20 exemplaires sur japon, renfermant les 27 compositions du célèbre artiste britannique Arthur Rackham. Ses « petites merveilles » marqueront durablement notre imaginaire et notre perception du chef-d’œuvre de Lewis Carroll.