Lettre autographe signée de François-René de Chateaubriand adressée au comte François-Amable de Brian, directeur du journal royaliste La Quotidienne.
Écrite à l'encre noire d'une écriture ample. Quelques mots soulignés. Petite déchirure angulaire sans manque de texte au coin inférieur gauche du second feuillet.
Publiée dans le tome ix des correspondances complètes chez Gallimard.
Témoignage poignant d'une époque troublée de l'Histoire de France et de la vie personnelle de l'auteur, cette lettre nous plonge dans les premières années de la Monarchie de Juillet et la vive résistance que lui opposent les légitimistes, avec Chateaubriand comme chef de file. À l'aube du départ de l'écrivain pour la Suisse, les divisions du parti légitimiste le retiennent encore.
« Je voulais, Monsieur, aller vous dire adieu avant de partir, le temps m'a manqué et de nombreux embarras m'ont retenu. »
Chateaubriand écrit cette lettre un mois après son emprisonnement au sein de la préfecture de police de Paris, suite à l'insurrection royaliste manquée de la duchesse de Berry. Proche de la duchesse et défenseur des Bourbons déchus, il est arrêté et accusé de « conspiration contre la sûreté de l'État » ; il sort quinze jours plus tard et fait figure de martyr. Ténor du parti légitimiste, on le charge de plaider la cause de Pierre-Antoine Berryer, célèbre avocat et parlementaire resté en prison à Nantes et victime de la répression qui a suivi le soulèvement royaliste. Ne parvenant pas à obtenir une réponse du ministre de l'Intérieur concernant la libération de Berryer (« celui-ci ne m'a pas même envoyé un simple accusé de réception »), Chateaubriand conte ses déboires à de Brian dans cette lettre. La missive s'achève sur l'annonce de son départ imminent pour la Suisse, où il s'exile fréquemment depuis 1830.
Après l'insurrection de la duchesse de Berry, qui a sans succès tenté de renverser la monarchie de Juillet, le parti se déchire. Des vagues d'arrestations frappent les légitimistes, et la duchesse est en cavale à travers la France. Le comte de Brian accuse même Chateaubriand de trahison, s'appuyant sur un article du Times du 4 août 1832, qui lui impute la tenue de conversations secrètes avec le ministre de l'Intérieur, Camille de Montalivet. Bien loin de trahir le parti cependant, Chateaubriand se démène auprès du ministre pour libérer Berryer, grande figure royaliste, qui plaida quelques années plus tôt pour La Quotidienne dirigé par de Brian lui-même. D'un ton amer, Chateaubriand se défend dans la lettre : « Vous savez que je n'ai eu d'autre rapport avec M. de Montalivet que l'envoi de la lettre à moi adressée par M. Berryer lors de son arrestation à Angoulême ». Attaqué même dans son propre camp, il tente à grand peine de rassembler des troupes royalistes désunies et méfiantes.
Chateaubriand se retrouve porte-parole d'un parti légitimiste en pleine débâcle, incite de Brian à ne rien publier qui pourrait « augmenter les divisions des royalistes » et lui adresse de sages recommandations (« Le silence me paraît préférable à tout »). Mais l'écrivain ne suit pas ses propres conseils, et publie la même année une série de brochures contre la monarchie de Juillet qui le placent au coeur du scandale, ainsi qu'un Mémoire sur la captivité de la duchesse de Berry l'année suivante pour lequel il sera poursuivi.
« Je pars cette nuit. Je reviendrai, si ma présence est nécessaire ; sinon je dis adieu à la France, je ne la reverrai plus. »
L'auteur termine sur une note dramatique, fatigué des tumultes politiques qui accablent le pays et du combat sans fin qui l'oppose à la monarchie de Louis-Philippe. Son âme polémique ne cessera pourtant pas de vibrer pour la cause royaliste, malgré son désir de s'éloigner de la France pour se consacrer à ses titanesques Mémoires.
Importante lettre écrite entre deux étapes de la vie de l'auteur, qui dresse un aperçu du chaos politique qui accompagne l'avènement de la monarchie de Juillet. Elle révèle les deux visages d'un Chateaubriand militant et désabusé, qui oscille entre l'engagement politique et l'exil vers la Suisse.