Edition originale, un des 15 exemplaires numérotés sur japon impérial, tirage de tête.
Reliure à la bradel en dos de box gris, premier plat de plexiglas laissant apparaître la couverture, second plat de box gris, couvertures et dos conservés, étui souple de papier gris, intérieur de feutre gris clair, reliure non signée de Mercher.
Ouvrage illustré de 3 lithographies originales dont celle, en couleurs, de la couverture.
Discrètes restaurations en tête du premier plat de couverture qui est également légèrement insolé en marge gauche.
Très rare et bel exemplaire en tirage de tête de cet important scénario d'un film imaginaire dada écrit par Picabia qui se proclamait pharmacien du hasard : "Je demande à chacun de mes lecteurs de mettre en scène, de tourner pour lui-même sur l'écran de son imagination [...] tournez vous-mêmes en lisant La Loi d'accommodation chez les borgnes, les places sont toutes au même prix, et on peut fumer sans ennuyer les voisins." (Picabia, préface de l'ouvrage). L'oeuvre, dans la lignée de sa célébrissime oeuvre dada l'oeil Cacodylate, fait directement référence au thème du regard perturbé - grande inspiration pour Picabia, qui avait souffert d'un zona ophtalmique : "Le titre du scénario lui-même (La Loi d'accommodation chez le borgnes) peut être compris comme un écho (ironique ou humoristique) des processus visuels mis en œuvre dans ses dernières œuvres. Pour percevoir la profondeur, il est nécessaire d'avoir deux yeux. L'absence de vision stéréoscopique dans la monophtalmie entraîne une image plate et le cerveau doit faire des efforts pour imaginer le relief qui manque". (Bernard Marcadé, Francis Picabia Rastaquouère, p. 390)
Notre exemplaire est enrichi d'une lettre autographe de l'éditeur précisant à son destinataire que l'ouvrage est complet et comporte bien deux illustrations de Francis Picabia (en plus de la couverture), contrairement à ce qu'indiquait Skira dans sa bibliographie.
Le livre-scénario la Loi d’accommodation est sans doute le plus dada de tous les films puisqu'il est un non-film fait de papier, à la police de caractères changeante, où l'on est invité à tourner dans sa tête. L'histoire à la fois avant-gardiste et vaudevillesque peut faire penser à une parodie de l’Inhumaine de Marcel L'Herbier, et a été rapproché de la Mariée mise à nu par ses célibataires même de Duchamp : une manucure immensément riche est courtisée par sept hommes dont un cul-de-jatte, un milliardaire américain, un curé, un agent de la sûreté, etc. Le cul-de-jatte l’emportera en éliminant ses concurrents un à un :
"Cette farce perpétue l'esprit libertaire d'Entr'acte. On y perçoit l'admiration de Picabia pour le Fantômas de Louis Feuillade et le cinéma burlesque en général, avec des accents et une intensité proches de celle d'Un chien andalou, le film que Luis Buñuel en Salvador Dalí sont en train de préparer" (Bernard Marcadé, Francis Picabia Rastaquouère, p. 388)
La couverture originale fait partie de la célèbre série des "Transparences" de Picabia où formes et figures se superposent sur un caractéristique fond bleu, illustrant parfaitement les mêmes procédés déployés dans l'ouvrage : "ce scénario joue de façon jouissive avec les processus de substitution et de superposition, à l'instar de l'héroïne du 'film', la manucure, qui, revenue chez elle, installée dans son lit, rêve de deux de ses soupirants, "l'Américain (bijoux, luxe, Rolls Royce)" et le "Cycliste (amour, tandem, repas sur l'herbe)". "Les deux personnages se confondent, se superposent et tels des équilibristes, montent sur les épaules l'un de l'autre, ils s'écroulent en même temps, ne sont plus que des morceaux épars que le Cul-de-jatte ramasse en tas dans son chariot qu traîne alors à toute vitesse, tout s'estompe" (ibid, p. 389-390).
Superbe exemplaire de toute rareté en tirage de tête de ce livre d'artiste et scénario nihiliste de Picabia : "son écriture restera, durant toute sa trajectoire artistique, jumelle de son engagement pictural" (Patrice Delbourg, Les jongleurs de mots).