Lettre autographe signée de Victor Hugo adressée au poète Algernon Swinburne, 1 page rédigée à l'encre noire sur un feuillet. Discrètes pliures transversales inhérentes à la mise sous pli.
Superbe manifeste anglophile de Victor Hugo, déclarant son affection pour le peuple qui l'accueille dans l'exil et applaudit ses oeuvres. Depuis Guernesey, Hugo s'adresse à l'un de ses plus fervents admirateurs britanniques, le poète pré-raphaélite Algernon Charles Swinburne, qui considérera Hugo comme le "premier poète de [son] temps", et le "souverain spirituel du XIXe siècle".
Jean Gaudon, professeur de littérature française à Yale et éditeur de plusieurs volumes de la correspondance de jeunesse de Hugo, ancien détenteur de la lettre, a identifié Swinburne comme destinataire.
Hugo exprime sa satisfaction à la lecture de la traduction par Swinburne de son poème "Pauvres Gens" :"Je l'ai trouvé excellente et je vous en félicite" répond Hugo dans cette lettre. Le poète britannique saluera en retour "l'intérieur idyllique" de ce poème, tableau tragique et sublime de la misère d'une famille de pêcheurs, dans son étude sur Hugo (1886) : "Là, nous avons senti la brise marine et vu la brume par les fentes des portes et des fenêtres" dira-t-il. Swinburne ira même jusqu'à attribuer la beauté des poèmes marins d'Hugo à l'influence insulaire de Guernesey : "Parmi les nombreux bienfaits qui semblent, pour les amoureux de la poésie, découler d'un mal aussi grand que le long exil de Hugo hors de son pays, il n'en est pas de meilleur ni de plus grand que l'inhalation spirituelle de la brise et de la saumure au cœur même de son génie, l'imprégnation miraculeuse de sa Muse solitaire par le vent de la mer."
Le poème venait alors de paraître dans la première partie de la Légende des Siècles dont l'écrivain se félicite ici de la réception positive dans sa terre d'exil : "Ce que vous me dites du succès de la Légende des siècles en Angleterre me touche vivement. J'ai dans l'âme une fraternité profonde pour le grand et libre peuple anglais". Par cette importante confession, Hugo s'identifie au destin de ce peuple, qui réussit à allier République et aristocratie par sa monarchie parlementaire bicamériste - là où la France avait sombré dans l'absolutisme et exilé son plus grand poète. Dans une autre lettre à Swinburne, il renforcera encore ce lien qui l'unit au poète, la métaphore maritime n'étant jamais loin : "Vous avez raison : vous, Byron, Shelley, trois aristocrates, trois républicains. Et moi-même, c'est de l'aristocratie que j'ai monté à la démocratie, c'est de la pairie que je suis arrivé à la république, comme on va d'un fleuve à l'océan".
Comme le sous-entend la lettre, Swinburne a adressé sa traduction des "Pauvres Gens" à un illustre traducteur : le fils de l'écrivain, François-Victor, "Mon fils, qui traduit Shakespeare, m'a lu votre traduction des Pauvres Gens", indique Hugo. Swinburne, lui-même exégète du Barde, ne tarira pas d'éloges sur "le labeur titanique" de François-Victor, qui "ajoute un nouveau lustre même au nom paternel" (Swinburne, Auguste Vacquerie, 1875).
Swinburne s'essaiera à nouveau à la traduction des poèmes de Hugo en 1870 avec "Pauvres enfants", faisant part au lord Houghton de la difficulté de l'exercice : "Je viens de rédiger la version que je vous envoie, qui, si elle ne parvient pas à reproduire le charme exquis de l'original, est au moins aussi fidèle que je peux l'être."
Une des rares lettres de Hugo à un écrivain étranger, constituant un exceptionnel témoignage de l'admiration mutuelle des deux poètes ; Swinburne dédiera à Hugo son drame Chastelard qui sera traduit en français par son fils François-Victor.
Provenance : collection personnelle de Jean et Sheila Gaudon.