Lettre autographe signée, deux pages rédigées à l'encre violette sur un double feuillet de papier à lettre bordé de noir. Pliures transversales inhérentes à la mise sous pli. Petites déchirures marginales au niveau des plis.
Exceptionnelle lettre autographe inédite de Claude Monet. Le peintre tente sans succès de racheter son propre tableau, La Terrasse à Sainte-Adresse (1867), un de ses chefs-d'œuvre qui fut exposé en 1879 à la 4e exposition Impressionniste, et désormais conservé au Metropolitan Museum de New York. Victime du succès exponentiel de ses toiles, Monet informe un destinataire resté inconnu que l'œuvre venait finalement d'être acquise par son galeriste, le grand marchand des impressionnistes Paul Durand-Ruel.
Notre lettre est mentionnée dans la bibliographie du Metropolitan Museum of Art: « Claude Monet. Letter. April 10, 1913, probably refers to this picture in stating that he would have liked to buy it back in an exchange with Madame Frat but that the price of 30,000 francs was too high and that Monsieur Frat's original offer to him had been only 20,000 francs »
Plus de quarante ans après la création de cette toile, Monet souhaitait racheter La Terrasse de Sainte-Adresse au collectionneur montpelliérain Victor Frat, ami du peintre Frédéric Bazille, qui l'avait acquise pour la modique somme de 400 francs dans les années 1870. Selon la lettre, Frat avait accepté de la lui revendre : « L'offre gracieuse qui [lui] avait été faite ne portant que sur un chiffre 20 000 [francs] ». Il s'agit de la seule source révélant ce prix initial. Le collectionneur étant décédé en 1902, sa veuve Marie Frat s'avérait moins généreuse, et en demandait alors 30 000 francs. Monet, dépassé par la surcote de son chef-d'œuvre, ne peut rivaliser avec Durand-Ruel qui fera l'acquisition du tableau pour la somme de 27 000 francs : « je ne puis à mon grand regret, que vous informer qu'ayant été avisé par Mr Durand Ruel que la vente du tableau en question me paraissant être ratifiée, je n'avais qu'à me soumettre » Moins d'un mois après son achat par le marchand, la toile se trouvait déjà aux Etats-Unis et était exposée l'année suivante. Elle fut acquise pour 11 500 $ par le Révérend Theodore Pitcairn en 1926 et rejoignit les collections du MET en 1967.
Témoin impuissant de l'explosion des prix de ses propres toiles, le peintre livre ici de précieuses informations sur une des vues normandes les plus célèbres de l'impressionnisme, devenues emblématique des influences japonaises de son œuvre. La Terrasse à Sainte-Adresse avait par ailleurs une indéniable valeur sentimentale pour Monet, qui l'avait peint dans un moment de tourmente familiale et y avait représenté son père Adolphe, la femme de son cousin, Jeanne-Marguerite Lecadre, et peut-être Sophie, sa sœur, assise, dos au spectateur. Les intentions de Monet derrière ce rachat restent obscures : voulait-il revendre la toile au destinataire de cette lettre, avait-il formé le projet d'en faire don à l'Etat, ce qu'il fera en 1925 avec les Nymphéas de l'Orangerie ou souhaitait-il garder pour lui une de ses œuvres favorites ?
En filigrane, la missive souligne également l'importance du marchand Paul Durand-Ruel, figure tutélaire de l'impressionnisme qui avait tout risqué pour promouvoir le mouvement à ses débuts. Après avoir conquis le marché américain et européen, il disposait désormais d'un immense pouvoir d'achat afin d'acquérir pour son compte les toiles de Monet, sans solliciter son accord : « je n'avais qu'à me soumettre », regrette le peintre dans cette lettre. En l'espace de quelques dizaines d'années, Durand-Ruel racheta en effet plus de 1000 toiles de l'artiste qui eurent un immense succès outre-Atlantique, à l'instar de La Terrasse à Sainte-Adresse.
Cette lettre marque un jalon important dans le parcours de La Terrasse à Sainte-Adresse, magistrale œuvre de Monet, qui à ce moment précis échappa définitivement à son auteur et quitta la France pour toujours. Ces quelques lignes fournissent des informations inédites sur la tentative désespérée de Monet de se réapproprier une œuvre qui revêtait à ses yeux une importance fondamentale.