Précieux manuscrit autographe complet de 6 pages in-4, inédit, évoquant cet épisode de l'histoire de Rome.
Ce récit, très documenté, semble autant une compilation de notes historiques que l'élaboration d'une toile de fond au destin épique de Sylla.
Flaubert y évoque succinctement, bien qu'avec précision, les événements majeurs de l'Histoire et s'attarde plus volontiers sur les épisodes moins significatifs mais plus évocateurs de la démesure du personnage.
Ainsi remarque-t-on, dès le début, une attention prêtée aux déplacements géographiques des différents protagonistes et la mise en exergue de leurs fins tragiques : "Catilina (...) lui creva les yeux, lui arracha la langue, les oreilles, les mains, lui rompit les bras et les jambes et lui coupa la tête enfin qu'il porta toute sanglante à Sylla puis il se lava les mains dans l'eau lustrale d'un temple voisin. Le cadavre du vainqueur des Cimbres fut exhumé, livré aux outrages et jeté dans l'Anio."
Plusieurs références bibliographiques : "Mr D. n'a pas remarqué cela" ; "Selon Pline XXXVI 186" ; "v. p. 296 est-ce cela ? " soulignent la réflexion de l'auteur au-delà de la simple relation des événements. Il conclue d'ailleurs ainsi : "Sylla homme du passé voulant rétablir une société morte (...) se mit lui-même au dessus des lois (...) caractère commun à tous les acteurs de ce même rôle."
Le manuscrit évoque bien évidemment l'intérêt de Flaubert pour l'Antiquité après le procès de Mme Bovary, "le besoin de sortir du monde moderne, où ma plume s'est trop trempée et qui d'ailleurs me fatigue autant à reproduire qu'il me dégoûte à voir" (lettre à Mlle Leroyer de Chantepie, 18 mars 1857). L'absence totale de mention de Carthage dans ce texte semble plutôt témoigner d'un écrit antérieur aux recherches historiques qu'il effectua pour Salammbô, d'une recherche encore ouverte, mais l'intérêt porté au potentiel "tragique" de personnages hors norme, aux antipodes de la "dramatique" actualité de Mme Bovary évoque son grand roman orientaliste.
Depuis longtemps, le personnage exerçait une fascination certaine sur Flaubert : "Nous remarquerons d'abord le crime grand, politique et froid, dans la personne de Sylla : il accomplit sa mission fatalement, comme une hache, puis il abdique la dictature et s'en va au milieu du peuple ; c'est là un orgueil plein de grandeur, ce sont là les crimes d'un homme de génie." (Rome et les Césars, 1839). Paul Bourget évoque également cette passion de l'auteur : "Ses amis se rappellent encore avec quel frémissement il récitait tel morceau de prose, le dialogue de Sylla et d'Eucrate, par exemple : « Sylla, lui dis-je...» puis, s'arrêtant là de sa citation, il ajoutait : « Toute l'histoire romaine est là dedans...» et il l'y voyait, tant l'ensorcellement des syllabes agissait sur ses nerfs tendus." (Journal des débats politique et littéraire, 10 février 1884).
Mais aussi épique fut-elle, l'histoire de Sylla manquait sans doute, à l'instar du manuscrit, d'une figure essentielle aux grandes œuvres de Flaubert : une femme.