Manuscrit autographe de l'auteur de 8 pages et demie in-4 publiée dans le numéro 9 de Septembre 1945 de la revue L'Arche.
Manuscrit complet à l'écriture très dense, comportant de nombreuses ratures, corrections et ajouts. Chronique littéraire publiée à l'occasion de la parution de Le Puits des miracles d'André Chamson et Anne-Marie de Paul Bodin.
On joint le tapuscrit complet.
Composé un an après sa dernière contribution au Journal des débats, cet article inaugure avec « Quelques réflexions sur le surréalisme » la nouvelle posture critique et politique de Blanchot. Après la longue maturation dont témoignent ses chroniques de guerre, Blanchot, en rejoignant L'Arche « expose sa notoriété montante aux côtés d'une Résistance nationale, républicaine et pacifique. » (cf. Bident MB Partenaire invisible p.238).
Mais, à l'instar de quelques autres grands articles de cette période, Autour du roman constitue plus qu'une simple prise de position politique. Sous le voile pudique de la critique romanesque, Blanchot opère une véritable réflexion introspective sur sa mutation intellectuelle, sans faire l'économie de son passé : « Les monstres sont aussi des monstres pour nous, et nous trouvons représenté par eux, le sens d'une disgrâce que nous avons effleurée » écrit-il à propos du Puits des miracles d'André Chamson.
Plus introspective encore est la critique du roman de Paul Bodin, Anne-Marie. A la lecture du compte-rendu, ce roman semble mettre en scène un double cathartique de Blanchot lui-même, un estimé petit professeur malingre et couard qui rencontre un jeune fou ébranlant sa vie et ses convictions. N'est-ce pas Georges Bataille ce « démon » qui « le regardant du dehors, lui montre ce qu'il est vraiment » ?
Le roman de Paul Bodin, conclue Blanchot, s'achève sur une « double lâcheté », celle-là même à laquelle lui-même ne cède pas : « une fuite devant la liberté, un refus de mettre en jeu ses valeurs ».
Parallèlement à cette réflexion politique, Blanchot instaure dans cet article essentiel quelques fondements de sa pensée critique. Invoquant tour à tour Stendhal, Racine, Balzac, mais aussi Camus, Sartre et Malraux, il ouvre quelques grandes réflexions sur les enjeux du roman dans ce monde à rebâtir :
« Tout cela est vrai, d'une vérité plus générale que les événements historiques. (...) c'est pourquoi ces événements, à leur tour signifient plus qu'eux-mêmes. »
« Il n'y a pas de roman important qui ne nous offre une image de notre condition dans son ensemble et qui ne soit une tentative pour en faire apparaitre le sens ou l'absence de sens. »
« Ce malaise qui est actuellement inséparable de toute expression artistique, ne nous parait pas un mauvais signe. »
« Ce qui compte n'est plus la création d'une œuvre (...) l'art ne se rapporte plus à la réalisation d'un objet durable et beau (...) l'œuvre est pour celui qui l'écrit l'occasion d'un débat vital où il se met en cause...»
Enfin, revenant sur La Nausée et L'Etranger, Blanchot oppose le récit d'une conscience à l'épreuve « du phénomène d'être » et celui d' « une conscience qui signifie : je ne pense pas, je ne sens pas, je ne suis pas conscience. »
Au sortir de la guerre, artistes et penseurs sont en effet confrontés à ces deux écueils de la pensée menant à l'impuissance ou à la violence. Cependant, comme pour Camus, l'Absurde n'est pas pour Blanchot une limite de la pensée, mais sa nouvelle condition critique.
« Au fond du trou, l'espoir est aussi obscur que la détresse. (...) Cet espoir aussi est absurde, et c'est pourquoi il ne peut disparaitre d'un monde où rien ne se justifie. Il est sauvé du naufrage par l'étendue du naufrage. Un univers de folie ne peut rien contre un espoir fou. Aussi au plus profond de la nuit, l'attente du jour devient-elle la vérité qui échappe à la nuit. »