Lettre autographe signée de Georges de Peyrebrune à Catulle Mendès, 1 page et demi à l'encre violette sur une carte, date "12 X bre" et adresse autographes "37 rue Charles Emmanuel, Asnières".
Cri du coeur probablement inédit de la romancière féministe Georges de Peyrebrune adressé au poète Catulle Mendès. Peinant à vivre de sa plume, Peyrebrune se bat pour subvenir à ses besoins et adresse cette supplique à Catulle Mendès après s'être sentie abandonnée par sa consoeur Daniel Lesueur.
Comme le rapelle Lydia de Haro Hernández, "La notoriété de Georges de Peyrebrune expira pendant les premières années du XXème siècle, qui est la date du début d’un déclin progressif jusqu’à l’oubli absolu. Elle meurt dans l’indigence et la détresse, en novembre 1917, et son nom, comme celui de tant d’autres femmes, s’effaça de l’histoire". La présente lettre dévoile sa lutte désespérée pour obtenir des prix littéraires dont les dotations étaient essentielles à sa survie. Au cours de sa carrière, Peyrebrune avait précieusement cultivé ses amitiés féminines parmi ses sœurs d’armes, et formé un véritable réseau d'entraide. Mais dans cette lettre, Peyrebrune s'inquiète de voir un de ses plus grands soutiens lui faire défaut : "On m'écrit, ce que je craignais, c'est que Mme Lesueur m'enlève, au Comité des Gens de Lettres, la majorité qui m'était favorable pour un prix. Ce sera pour moi un désastre final. Je complais sur billet de mille francs pour vivre encore un an ! Dans six jours, mon sort sera fixé. "Peyrebrune briguait le prix Chauchard de la Société des Gens de Lettres. Lesueur en était la vice-présidente et première femme depuis George Sand à siéger au Comité de la Société : "Il me serait doux de penser qu’une femme, et une femme telle que vous, prendrait ma cause en main avec la vaillance et l’autorité que chacun vous connaît" avait-elle écrit à sa conseur quelques semaines plus tôt. Elle tente ici de rassembler d'autres soutiens au sein de la SGDL - masculins, ceux-ci - et se tourne vers Catulle Mendès, le "patron des lettres françaises" (Elodie Lanceron) pour qu'il plaide sa cause auprès des membres actifs et respectés Edmond Haraucourt et Rosny aîné.
Elle termine sur ces terribles paroles :"Et puis je suis si lasse de tant de luttes inutiles ! Lorsqu'on ne peut plus gagner sa vie n’est-il pas juste que l'on meure ?". Sa vie rejoint la fiction, après avoir conté les malheurs des femmes de lettres déconsidérées dans son Roman d'un bas-bleu :
"Enfin me voici vaincue. Rends-moi cette justice que j'ai lutté. Et quelles luttes !... Cela ne vaut rien pour une femme de venir au monde pauvre et chaste. Il n'y a pas de place pour celle-là dans aucun groupe social. Quel que soit le travail qu'elle entreprenne pour gagner sa vie, elle n'y parviendra pas sans payer à l'homme la dîme de sa chair soumise ou révoltée. Depuis la servante jusqu'à l'artiste, depuis l'ouvrière des fabriques jusqu'au bas-bleu, la femme qui travaille seule, non défendue par un mâle, légitime ou non, sera violée, avec ou sans son consentement, mais elle le sera ou elle crèvera de misère. Et cela, dans le plein épanouissement de notre société démocratisée, bénisseuse et morale, et inventrice des pullulantes bonnes œuvres." (Le Roman d'un bas-bleu, Paris, Ollendorff, 1892, p. 327).
Peyrebrune n'obtient pas le prix, qui revient à sa consoeur Rachilde dont elle avait fait le portait dans Une décadente (Paris, Frinzine, 1886). Le lendemain même de cette lettre, elle sera tout de même récompensée par la Société des gens de Lettres, qui lui décerne le grand prix James Hyde accompagné d'une enveloppe de 2500 francs.
Peyrebrune laisse ici dans cette pièce de correspondance inédite, le magistral "témoignage de son vécu personnel, les preuves des tracas subis dans sa lutte pour l’émancipation et l’empreinte de son cri de révolte contre l’indignité de la situation faite aux femmes" (Lydia de Haro Hernández).
Peyrebrune et les Mendès
Les rares lettres à Catulle Mendès et sa femme Jane, Jeanne Mette, (son « exquise confrère » écrira-t-elle dans son envoi autographe à celle-ci sur son roman Au pied du mât) complètent notre connaissance du combat de Peyrebrune pour son indépendance et la reconnaissance de ses pairs.
Peyrebrune, dans ses missives au ton parfois très désespéré adressées au mari de Jane, le « cher maître » Catulle, fait de multiples tentatives – parfois infructueuses – pour placer des contes dans les journaux dont il assurait la direction littéraire - ici Le Journal, où il anime une chronique dramatique hebdomadaire entre 1895 et 1909. Catulle Mendès, bien implanté au sein de réseaux mondains et littéraires qu’il animait avec panache, lui vient en aide à plusieurs reprises. L'écrivain Décadent, à la croisée de divers mouvements de la fin du siècle, était connu pour avoir endossé le rôle de mentor pour de nombreux poètes symbolistes et écrivains naturalistes : Baudelaire, Mallarmé, Verlaine et Zola entre autres.
On lui doit la présentation du nom de Peyrebrune à la Légion d’honneur, aussi soutenue par Henry Houssaye, Jules Bois, José María de Heredia, Abel Hermant, Jules Claretie et Anatole France. Il rédige également une préface pour son roman Deux amoureuses (Lemerre, 1901). Mais il semble avoir manqué aux demandes de Peyrebrune, qui s’en plaindra dans quelques lettres à l’intéressé ainsi qu’à sa femme. La justice que Peyrebrune réclamait pour son œuvre ne lui fut malheureusement jamais rendue de son vivant.
Femme de lutte et de lettres
Républicaine et dreyfusarde, « Cette provinciale, qui ne comptait que sur elle-même pour s’introduire dans le monde littéraire parisien, n’étant ni fille, ni femme, ni amante de personne pouvant lui servir d’aval réussit à s’y faire une place considérable par le seul mérite de son travail » (Lydia de Haro Hernández). George de Peyrebrune fait partie intégrante des cercles de femmes de lettres de la Belle Epoque avec qui elle entretient amitiés et correspondance. Elle s'adonne avec détermination au journalisme d'obédience féministe – notamment dans La Fronde de Marguerite Durand, et défend la place des femmes dans les métiers littéraires. Avec Jane Catulle Mendès, elle siège dans le jury exclusivement féminin du prix littéraire de la revue La Vie Heureuse dont elle est contributrice. Aujourd’hui connu sous le nom de Prix Fémina, il se voulait une contre-proposition au prix Goncourt qui excluait les œuvres poétiques, et « vraisemblablement ne sera[it] jamais attribué à une œuvre de femme. Il appartenait à des femmes de supprimer, avec les autres, cette double restriction » (présentation du prix La Vie Heureuse, Hachette, en 1907). Peyrebrune dévoue une grande partie de son œuvre à dépeindre les vicissitudes de la condition féminine – elle-même issue d’une union adultérine (elle reçoit le nom de son hameau natal en Dordogne) et victime d’un mariage malheureux, Peyrebrune fait entendre les voix tues et dénonce les injustices sociales. Ses romans font les portraits tragiques de femmes battues écrasées sous la pression morale de leur temps (Victoire La Rouge), écrivaines dénigrées aux accents autobiographiques (Roman d’un Bas-bleu), mais présentent aussi des accents clairement naturalistes, comme Les Ensevelis sur la catastrophe minière de Chancelade. Malgré son succès, couronné par deux prix de l’Académie française, elle peine à vivre dignement de son œuvre. Le début du siècle marque le déclin de sa notoriété qui finira par plonger l’intégralité de son œuvre dans l’ombre et condamner Peyrebrune à une vieillesse miséreuse. L’histoire littéraire ne permit pas à deux George(s) de compter parmi les classiques. De ces deux écrivaines attachées à leur campagne (périgourdine pour l’une, berrichonne pour l’autre), on refuse l’immortalité à celle qu’on avait surnommée l’ « autre George Sand » et qui nourrissait d’ailleurs une grande admiration pour son aînée.