Lettre autographe signée de Georges de Peyrebrune à Catulle Mendès, 1 page et deux lignes à l'encre violette sur une carte, date "17 décembre 1900" et adresse autographes "Chancelade Dordogne".
Carte probablement inédite de la romancière féministe Georges de Peyrebrune adressé au poète Catulle Mendès. Peyrebrune se réjouit enfin de la décoration des premières femmes de lettres à la Légion d'Honneur.
"Cher maître, tous mes compliments....
à M. Leygues voilà, du moins, une rosette qui fleurit au bon endroit [...]
Que ne suis-je à Paris pour célébrer cette fête en famille artistique, comme j'y étais pour le ruban! Hélas, je suis aux champs ou je gèle malgré l'ardeur du soleil de midi [...]".
En juillet 1900, Georges Leygues, ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts avait pris la révolutionnaire décision d'intégrer des femmes de lettres dans l'ordre de la Légion d'honneur : les premières sont Clémence Royer et Daniel Lesueur, consoeurs de Peyrebrune et collaboratrices à ses côtés au journal féministe La Fronde. Leygues était proche des Parnassiens et de Catulle Mendès, à qui il commandera en 1902 un Rapport sur le mouvement poétique français de 1867 à 1900.
C'est son destinataire Catulle Mendès qui présentera le propre nom de Peyrebrune à la Légion d’honneur. Elle bénéficiera du soutien de Henry Houssaye, Jules Bois, José María de Heredia, Abel Hermant, Jules Claretie et Anatole France. Mais, pour reprendre la délicieuse expression de cette lettre, sa rosette ne fleurira jamais. Comme le rapelle Lydia de Haro Hernández, "La notoriété de Georges de Peyrebrune expira pendant les premières années du XXème siècle, qui est la date du début d’un déclin progressif jusqu’à l’oubli absolu. Elle meurt dans l’indigence et la détresse, en novembre 1917, et son nom, comme celui de tant d’autres femmes, s’effaça de l’histoire". La reconnaissance de son talent fut ardue : "je crois bien qu’il en sera de ce fameux prix comme de ma décoration ; c’est-à-dire que ni l’un ni l’autre ne viendront jamais!" se lamente-t-elle neuf ans plus tard à Daniel Lesueur.
Peyrebrune laisse ici dans cette pièce de correspondance inédite, le magistral "témoignage de son vécu, les preuves des tracas subis dans sa lutte pour l’émancipation et l’empreinte de son cri de révolte contre l’indignité de la situation faite aux femmes" (Lydia de Haro Hernández).
Peyrebrune et les Mendès
Les rares lettres à Catulle Mendès et sa femme Jane, Jeanne Mette, (son « exquise confrère » écrira-t-elle dans son envoi autographe à celle-ci sur son roman Au pied du mât) complètent notre connaissance du combat de Peyrebrune pour son indépendance et la reconnaissance de ses pairs.
Peyrebrune, dans ses missives au ton parfois très désespéré adressées au mari de Jane, le « cher maître » Catulle, fait de multiples tentatives – parfois infructueuses – pour placer des contes dans les journaux dont il assurait la direction littéraire - ici Le Journal, où il anime une chronique dramatique hebdomadaire entre 1895 et 1909. Catulle Mendès, bien implanté au sein de réseaux mondains et littéraires qu’il animait avec panache, lui vient en aide à plusieurs reprises. L'écrivain Décadent, à la croisée de divers mouvements de la fin du siècle, était connu pour avoir endossé le rôle de mentor pour de nombreux poètes symbolistes et écrivains naturalistes : Baudelaire, Mallarmé, Verlaine et Zola entre autres. Il rédige également une préface pour son roman Deux amoureuses (Lemerre, 1901). Mais il semble avoir manqué aux demandes de Peyrebrune, qui s’en plaindra dans quelques lettres à l’intéressé ainsi qu’à sa femme. La justice que Peyrebrune réclamait pour son œuvre ne lui fut malheureusement jamais rendue de son vivant.
Femme de lutte et de lettres
Républicaine et dreyfusarde, « Cette provinciale, qui ne comptait que sur elle-même pour s’introduire dans le monde littéraire parisien, n’étant ni fille, ni femme, ni amante de personne pouvant lui servir d’aval réussit à s’y faire une place considérable par le seul mérite de son travail » (Lydia de Haro Hernández). George de Peyrebrune fait partie intégrante des cercles de femmes de lettres de la Belle Epoque avec qui elle entretient amitiés et correspondance. Elle s'adonne avec détermination au journalisme d'obédience féministe – notamment dans La Fronde de Marguerite Durand, et défend la place des femmes dans les métiers littéraires. Avec Jane Catulle Mendès, elle siège dans le jury exclusivement féminin du prix littéraire de la revue La Vie Heureuse dont elle est contributrice. Aujourd’hui connu sous le nom de Prix Fémina, il se voulait une contre-proposition au prix Goncourt qui excluait les œuvres poétiques, et « vraisemblablement ne sera[it] jamais attribué à une œuvre de femme. Il appartenait à des femmes de supprimer, avec les autres, cette double restriction » (présentation du prix La Vie Heureuse, Hachette, en 1907). Peyrebrune dévoue une grande partie de son œuvre à dépeindre les vicissitudes de la condition féminine – elle-même issue d’une union adultérine (elle reçoit le nom de son hameau natal en Dordogne) et victime d’un mariage malheureux, Peyrebrune fait entendre les voix tues et dénonce les injustices sociales. Ses romans font les portraits tragiques de femmes battues écrasées sous la pression morale de leur temps (Victoire La Rouge), écrivaines dénigrées aux accents autobiographiques (Roman d’un Bas-bleu), mais présentent aussi des accents clairement naturalistes, comme Les Ensevelis sur la catastrophe minière de Chancelade. Malgré son succès, couronné par deux prix de l’Académie française, elle peine à vivre dignement de son œuvre. Le début du siècle marque le déclin de sa notoriété qui finira par plonger l’intégralité de son œuvre dans l’ombre et condamner Peyrebrune à une vieillesse miséreuse. L’histoire littéraire ne permit pas à deux George(s) de compter parmi les classiques. De ces deux écrivaines attachées à leur campagne (périgourdine pour l’une, berrichonne pour l’autre), on refuse l’immortalité à celle qu’on avait surnommée l’ « autre George Sand » et qui nourrissait d’ailleurs une grande admiration pour son aînée.