Ensemble de 10 photographies originales prises à la prison de Fresnes en avril 1945, reproduites dans l’ouvrage Les Murs de Fresnes d’Henri Calet, sauf un cliché demeuré inédit. Nombreuses notes et mesures au dos en vue de leur publication, deux d’entre elles portent les tampons « Bernès, Marouteau & Cie » ; rehauts au feutre noir pour des retouches présentes sur cinq clichés, indications de retouches au crayon sur les deux photographies des gamelles.
Ensemble de clichés pris à la prison de Fresnes en avril 1945, qui font parler un lieu où furent enfermées sous l’Occupation un trop grand nombre de vies sur le point de finir. Ces photographies donnent à voir l’histoire muette des détentions de résistants français et étrangers – graffitis de condamnés ou en attente de verdict, cellules nues et corridors sans fin.
Deux photographies conservent les dernières traces de l’héroïne résistante et féministe Berty Albrecht à Fresnes : son bulletin de décès où figurent les mots glaçants « condamnée par autorité Allemande / Décédée cause inconnue » ainsi qu’une vue de son lieu d’inhumation, un simple piquet marqué du numéro 347 dans le jardin-potager de la prison, parmi d’innombrables sépultures anonymes.
À l’exception d’un cliché inédit, les photographies ont servi à illustrer la grande enquête d’Henri Calet, Les Murs de Fresnes, qui s’évertua avant même que l’armistice ne soit prononcé à retrouver la trace de « ceux qui sont passés par là », et notamment les victimes de la politique Nacht und Nebel.
Henri Calet fut recruté au journal résistant Combat par Pascal Pia et Albert Camus, en 1944. Quelques mois plus tard, en l’absence de Camus parti en Algérie au printemps 1945, Calet s’occupe quelque temps du supplément magazine. Le 24 avril 1945, alors que les Alliés encerclent Berlin, Calet se rend à la prison de Fresnes où il parcourt quelques-unes des 1 500 cellules de l’établissement. Les autorités allemandes, la contrôlant entièrement à partir de 1943, y avaient emprisonné, torturé, assassiné. Transformée en bagne, elle servait aussi de gare de triage d’où des milliers de Français emprisonnés partaient vers Buchenwald. Mais comme le rappelle Pierre Benetti, « À ce moment-là, ’Fresnes’ renvoie d’abord à l’incarcération des anciens collaborateurs dont Laval et Brasillach sont les plus célèbres. » Il s’agit donc d’une course contre la montre, afin de retrouver la trace des détenus déjà en partie effacée par l’humidité ou l’arrivée des collaborateurs ayant pris leur place. Sa quête s’inscrit plus largement dans une opération de collecte du ministère des Prisonniers de guerre, des Déportés et des Réfugiés, qui lui fournit un relevé partiel des graffiti inscrits par les prisonniers sur les murs de leur cellule. Calet rédige un premier reportage (Combat, édition magazine du dimanche, n° 5, 28-29 avril 1945) bientôt approfondi et étoffé en un livre, Les Murs de Fresnes, achevé d’imprimer en novembre de la même année. Fruit d’un travail douloureux et nécessaire, l’ouvrage recense les traces écrites laissées par les détenus, et s’accompagne de 15 photographies noir et blanc ainsi que 10 documents reproduits en fac-similé. Il s’agit d’une des premières campagnes de relevé de graffitis dans un lieu de détention. Une enquête dérangeante, alors qu’on procède à l’ouverture des camps : Calet fait face à l’horreur concentrationnaire à seulement onze kilomètres de Paris, perpétrée par des Français contre des Français, ou des étrangers venus défendre la France.
Les 10 photographies de cet ensemble ont été reproduites dans l’ouvrage de Calet, sauf un cliché inédit représentant l’impressionnant couloir central de la prison, qui est une variante de la photographie en frontispice de l’ouvrage. Quatre clichés montrent des inscriptions que, dans l’attente d’être jugés, transférés ou exécutés, les prisonniers, résistants français ou étrangers ont inscrit à l’aide de clous et d’épingles – non seulement sur les murs des cellules mais sur d’autres supports. L’ensemble comprend deux fascinantes natures mortes de gamelles en aluminium rudimentairement gravées par des détenus, l’un ayant composé un poème : « Souviens-toi victime inconnue / D’un monde sans cœur ni cerveau / De ceux qu’une ardeur ingénue / Dressa contre l’Ordre Nouveau / Jérôme Verdilhac », un autre FTP célébrant un bien triste anniversaire : « Joseph Galousstoff / dit « Le Bolchevique » / a mangé dans cette gamelle / le jour de ses vingt ans / arrêté le 26 avril 1942 ». Une photographie garde la trace d’un des nombreux « morceaux de vie […] arrachés au mur », recensés par Calet : « f/o john d. harvie / j 27573 / prisoner here / july 14/44 / – aug 19-44 god save the king! long live the allies! / oh to be in canada! ». Les notes et mesures manuscrites au crayon au dos des clichés attestent d’un important travail de mise en page pour la reproduction des photographies – les graffitis capturés sur l’une d’entre elle sont même rehaussés à l’encre pour davantage de contraste : « schneider - ch / gardien de la paix au 14e / Brigadier du 7e arrt. / arrêté pour dépôt d’armes / résistance dans la / police le 5 – 6 – 44. / Pensée à la femme Chérie / et ma petite jane qui a 12 ans / Peut être adieu ! / car j’attends : le verdic [sic] », les coins du cliché portent des repères de coupe en vue de sa publication dans Les Murs de Fresnes (p. 30).
Les quatre vues de la prison et des cellules délabrées figent pour la postérité la réalité des détenus : « Un lit de fer, que l’on relève le jour, une paillasse, une porte, un judas, une fenêtre à barreaux […] À plusieurs dans une même cellule, parfois cinq, ou six, pendant les années d’affluence, quand les Français étaient traqués en France » commente Calet en face de la reproduction d’une des photographies de cet ensemble (Les Murs de Fresnes, p. 15). Le travail de Calet inclut également une immersion dans les rares archives de la prison, qui, par chance, n’ont pas été détruites : on photographie, comme preuve à conviction, le bulletin de décès pour « cause inconnue » de Berty Albrecht, qui après avoir été torturée par Klaus Barbie, meurt à Fresnes quelques jours plus tard. La visite se termine au cimetière, devant la tombe d’Albrecht immortalisée dans une photographie de cet ensemble. Celle-ci garde le seul souvenir de son premier et honteux « lieu de repos », avant le transfert de sa dépouille en novembre 1945 au Mémorial de la France combattante, sur le Mont-Valérien.
Les auteurs des photographies sont restés pour la plupart anonymes – trois photographies sont prises par un photographe de Combat, et sans doute la photographie inédite, variante du frontispice crédité à Combat dans le livre de Calet. Quatre photographies, dont celles relatives à Albrecht, sont l’œuvre d’une certaine Mlle J. Gérard, restée inconnue. On retrouve son nom en crédit photographique de reproductions d’œuvres d’art dans les années 1950. En 1956, Francis Ponge, grand ami de Calet, lui annonce dans une lettre l’avoir contactée en retrouvant son adresse dans l’annuaire, sans que l’on sache ce qui est advenu de cet échange. Les deux photographies des gamelles ont quant à elles été réalisées par l’agence Bernès, Marouteau & Cie, sise dans le XIVè arrondissement, spécialisée dans la photographie d’œuvres artistiques.
L’ouvrage de Calet sera considéré par André Malraux comme « un des documents les plus saisissants qui aient paru sur la Résistance, non seulement en France, mais dans tous les pays où la Résistance a eu lieu. » (lettre à Calet, 5 février 1946). Calet continuera pendant de nombreuses années son enquête à Paris et en banlieue, à la recherche des héros qui ont gravé leurs cris à Fresnes. Il fera paraître sous la forme de quatre reportages dans le quotidien France-Soir (« Les murs de Fresnes ont parlé », du 7 au 14 février 1946). Le dernier volet de ce titanesque effort de mémoire sera publié sous le titre « Hôtel des revenants » dans la revue Évidences, en novembre 1953. Aucune autre photographie, en dehors de celles déjà publiées dans Les Murs de Fresnes, n’accompagnera ces publications.
Émouvants et uniques objets d’histoire d’un lieu marqué par le traumatisme des exactions nazies et la honte de la collaboration. Comme le remarque Michel P. Schmitt, (« Une épigraphie tragique. Les Murs de Fresnes d’Henri Calet » Écrire sous l’Occupation, 2011), cet accompagnement photographique donnant la preuve visuelle et frappante de ces années sombres « donne plus de force » au monument sensible que représente Les Murs de Fresnes.
Provenance : Jean-Pierre Baril, que nous remercions chaleureusement pour son aide à la rédaction de cette notice.