Edition de la Insel Verlag, "201. Bis 230" (Ritzer, Rainer Maria Rilke Bibliographie, E56).
Reliure en demi chagrin vert à coins, dos lisse comportant de petits frottements sur les coiffes, une éraflure en tête d'un mors, plats de papier à la cuve, tête dorée, reliure de l'époque.
Rare et précieux envoi autographe daté et signé de Rainer Maria Rilke à August Friedrich Ammann :
« À M. August F. Ammann En échange, une petite version du grand 'Reiss ins Globte Land' (au contenu presque contemporain) : Rainer Maria Rilke (Muzot, le 17 mars 1922) » Herrn August F. Ammann Als eine kleine, der grossen „Reiss ins Globte Land" (inhaltlich fast zeitgenössische) Gegen - Gabe : Rainer Maria Rilke (Muzot, am 17. März 1922).
Superbe envoi de Rilke à l'oncle de Nanny Wunderly-Volkart, jeune admiratrice et mécène suisse avec qui il entretint une grande correspondance.
Cette importante dédicace manuscrite de Rilke fait référence à une chronique écrite par l'ancêtre du dédicataire, voyageur en Orient au XVIIe siècle dont le destin fut similaire à celui du propre aïeul du poète, le cornette Christoph Rilke.
L'auteur rédige cet envoi en mars 1922, sortant d'une intense période créatrice à Muzot, véritable mensis mirabilis où virent le jour ses célèbres Sonnets à Orphée ainsi que plusieurs des Élegies de Duino. Le poète l'inscrit sur « la belle réimpression avec laquelle le Cornet avait franchi le sommet du 200e millier [d'exemplaires vendus] » (lettre à Nanny, 13 décembre 1921). Cette splendide épopée en prose lyrique, composée « sans une rature, dans l'élan d'une seule nuit », au cours de l'automne 1899, connut au fil du siècle un succès toujours grandissant grâce à cette édition de l'Insel-Bücherei, créée d'après une idée de Stefan Zweig. Et l'on conçoit aisément que ce texte rassemblant avec brio les thèmes essentiels de la poésie rilkéenne ait pu être pour des générations de lecteurs - et soit peut-être encore - un « modèle de vie » selon l'expression de Philippe Jaccottet. La jeunesse, l'amour, l'héroïsme et la mort juvénile maniés par les cadences rythmées de Rilke donnèrent lieu à de nombreuses mises en musique et même une adaptation cinématographique en 1955.
Le suisse August Friedrich Ammann (1850-1924), bibliophile distingué comme l'indique son imposant ex-libris sur le contreplat (un des nombreux qu'il fit dessiner), était l'oncle de Nanny Wunderly-Volkart, plus fidèle soutien du poète pendant ses dernières années en Suisse, à qui il léguera les objets de Muzot. C'est d'ailleurs grâce à elle que le poète s'était installé dans son havre de solitude valaisan par l'intermédiaire de son cousin, l'industriel de Winterthur Werner Reinhart, qui fit l'acquisition de la tour de Muzot. Nous savons qu'August Ammann sera l'un des premiers à la visiter : sa signature du 2 mai 1922 inaugurera le fameux livre d'or de la demeure rilkéenne.
Rilke et Ammann se rencontrèrent à Sierre dans le courant de l'année 1921, comme l'attestent les lettres du poète à Nanny - et ont dû partager l'histoire glorieuse de leurs familles respectives. Le médecin zurichois Hans-Jakob Ammann, l'aïeul d'August, avait voyagé en Orient durant les guerres ottomanes, alors que Christoph Rilke, dont le poète avait trouvé mention dans les archives familiales, était mort en combattant contre les Turcs : « La généalogie était une des nombreuses voies explorées par Rilke dans sa recherche de liens entre lui-même et le monde extérieur ; l'étude de celle-ci l'avait conduit, jeune homme, à découvrir un document sur le Cornette Christoph Rilke qui a inspiré sa célèbre œuvre de jeunesse. [...] Le fait qu'en même temps, et surtout à l'âge mûr, il se soit engagé dans une recherche désespérée de la tradition, de la domesticité et de l'amour, prouve encore une fois à quel point son attitude face à la vie était ambivalente » (J. R. von Salis).
Auteur et dédicataire étaient animés par un pieux respect de la mémoire de leurs ancêtres - tandis que cette redécouverte avait fourni à Rilke le prétexte à cette superbe œuvre de prose poétique, Ammann avait réédité le récit de voyage d'Hans Jakob Ammann, Reiss ins Globte Land [Voyage en terre promise] (Zürich: Polygraphisches Institut 1919-1921). Il a très probablement fait don d'un exemplaire au poète. En réciproque (als [...] Gegen-Gabe), Rilke lui offrit ce Chant du Cornette qu'il qualifie humblement dans l'envoi de « petit », comme une sorte de réduction du grand œuvre d'Hans Jakob Ammann (Als eine kleine, der grossen « Reiss ins Globte Land »). Rilke considère l'histoire des deux hommes comme « presque contemporaine », oscillant entre historicisme et esthétisme - même si le voyage d'Ammann est antérieur de cinquante années à la fin tragique de Christoph Rilke, l'étendard de la passion amoureuse.
Rare envoi du "Dichter des Cornet" (poète du Cornette) sur son chef-d'œuvre intemporel qui lui valut les honneurs et la célébrité, réunissant les épopées de deux figures familiales, aventuriers et guerriers du XVIIe siècle.
Provenance : de la bibliothèque d'August F. Ammann avec son ex-libris gravé encollé sur le contreplat ; puis sa fille Molly Ammann (inscription au crayon sous l'ex-libris).