Charmante lettre autographe signée de Victor Hugo à Emile Deschanel, élève à l'Ecole normale supérieure et futur homme politique républicain, père du président de la République française Paul Deschanel. Ecrite à Saint-Prix le 27 août 1840, la lettre porte l'adresse manuscrite du destinataire et plusieurs cachets postaux au verso de la seconde page. Nous joignons une lettre admirative d'Emile Deschanel à Victor Hugo, datée de novembre 1846.
Victor Hugo, parrain spirituel du jeune étudiant Emile Deschanel, lui adresse une lettre pleine d'affection sur les vertus de la lecture et de la contemplation.
La lettre a été partiellement publiée dans les Oeuvres complètes de Victor Hugo. Correspondance, A. Michel ; Librairie P. Ollendorff, 1947, tome 1, pp. 571-572
Emile Deschanel avait envoyé à Victor Hugo ses premières poésies et reçoit dans cette lettre de chaleureux encouragements depuis le château de la Terrasse à Saint-Prix, résidence estivale de la famille Hugo : « Vous faites donc toujours de beaux vers, Monsieur, et vous m'aimez donc toujours. Je vous remercie ». Davantage épris de liberté que de fidélité, et en quête permanente de nouveaux paysages, Victor Hugo partira deux jours plus tard avec Juliette Drouet dans la vallée du Rhin jusqu'en novembre, laissant femme et enfants au château. De ce pèlerinage dans cette grande Allemagne où vivaient sans doute une partie de ses lointains ancêtres, naîtront Les Burgraves, drame historique au succès mitigé. 1840 est également l'année de la publication des Rayons et les ombres, dernier recueil de poèmes avant quelques années. Hugo jouit déjà d'une immense célébrité, avec derrière lui ses chefs-d'œuvre Hernani (1830), Notre-Dame de Paris (1831) et Ruy Blas (1838).
Hugo évoque dans sa lettre la résidence d'été de Saint-Prix, qui fut l'occasion de promenades bucoliques en compagnie de ses deux fils, Charles et François-Victor. Il immortalisa le château dans quelques vers des Contemplations :
« Connaissez-vous sur la colline
Qui joint Montlignon à Saint-Leu,
Une terrasse qui s'incline
Entre un bois sombre et le ciel bleu ? »
(« ô souvenirs ! printemps ! aurore ! », Contemplations, livre IV, 1856)
Enthousiasmé à la vue de la nature environnante, il déclare à son admirateur : « Je suis à la campagne, Monsieur, dans les jeunes arbres, dans les jeunes fleurs et dans les jeunes verdures. Vous êtes dans les vieux livres, dans les vieux penseurs, dans les vieux philosophes. » Deschanel évoluait en effet dans une atmosphère bien différente. Hugo l'admira toute sa vie pour ses talents de linguiste, qui lui permettaient de lire les anciens poètes, réclamant même de Deschanel des cours de grec durant son exil à Guernesey. L'écrivain donne une belle leçon de vie à son jeune protégé, trouvant en lui un interlocuteur privilégié : « Nous sommes dans la poésie tous les deux. Moi, je lis Virgile à travers la nature ; vous, vous rêvez la nature à travers Virgile. Ne nous plaignons pas quand le ciel est bleu et quand les livres sont ouverts. »
Victor Hugo fut toujours soucieux d'entretenir de bonnes relations avec tous les échelons de l'Université, et particulièrement avec l'Ecole normale. C'est d'ailleurs en sa présence qu'on inaugurera en 1847 son emplacement actuel, au 45 de la rue d'Ulm. Flatté de l'influence qu'il exerce sur une nouvelle génération de littérateurs, il se fend d'une envolée lyrique : « Éveiller un écho dans de jeunes et nobles âmes comme la vôtre, c'est mon bonheur et ma gloire, si ce ne sont pas là deux beaucoup trop grands mots pour l'homme et le poète qu'il y a en moi ». Conscient de sa position et de la responsabilité qui l'incombe, il déclare à Deschanel : « Cet appel que vos beaux vers faisaient, toute une génération veut bien me l'adresser. Je tâcherai de faire, puisqu'on attend. »
Dès ses débuts, Deschanel trouva chez Victor Hugo un appui dans sa carrière de professeur. C'est grâce à lui qu'il revint de Bourges à Paris et fut nommé au lycée Charlemagne. Deschanel annonce à Hugo dans la lettre jointe, datant de 1846, son retour à l'Ecole normale en tant que maître de conférences en littérature grecque. Ardent défenseur de la République, ses publications l'obligèrent à fuir en Belgique après le coup d'état de Louis-Napoléon Bonaparte, tandis qu'Hugo se dirigeait vers l'Angleterre. Leurs relations gagnèrent davantage en cordialité pendant leur exil, et leur correspondance, dont nous trouvons encore trace en 1869, témoigne d'une longue et inaltérable amitié.
Admirable lettre de Victor Hugo à son jeune protégé Emile Deschanel, marquant la rencontre de deux esprits épris de poésie et de liberté.
« Vous faites donc toujours de beaux vers, Monsieur, et vous m'aimez donc toujours. Je vous remercie. Je suis profondément touché de tout ce que vous m'écrivez de bon et de grand. Éveiller un écho dans de jeunes et nobles âmes comme la vôtre, c'est mon bonheur et ma gloire, si ce ne sont pas là deux beaucoup trop grands mots pour l'homme et le poète qu'il y a en moi. Cet appel que vos beaux vers faisaient, toute une génération veut bien me l'adresser. Je tâcherai de faire, puisqu'on attend.
Je suis à la campagne, Monsieur, dans les jeunes arbres, dans les jeunes fleurs et dans les jeunes verdures. Vous êtes dans les vieux livres, dans les vieux penseurs, dans les vieux philosophes. Nous sommes dans la poésie tous les deux. Moi, je lis Virgile à travers la nature ; vous, vous rêvez la nature à travers Virgile. Ne nous plaignons pas quand le ciel est bleu et quand les livres sont ouverts.
Victor Hugo »