Rare édition originale, dont il n’existe aucune réimpression avant le xxe siècle, complète de toutes ses poésies néo-latines, écrites pour l’essentiel à Rome. On trouve aussi deux poèmes en grec aux ff. 60 et 62, ainsi qu’un poème à l’origine du célèbre sonnet Heureux qui comme Ulysse.
Reliure moderne en plein vélin souple, dos lisse, tranches rouges, contreplats et gardes blanches.
Quelques défauts à l’intérieur de l’ouvrage : discrète restauration en marge intérieure du verso de la page de titre ; petite déchirure sans manque en pied des ff. 2 et 3 ; trace d’humidité en marge inférieure des ff. 25 à 28, et 45 à 48 ; infime accident marginal au f. 44, sans atteinte au texte.
Publié au mois de mars 1558, ce précieux exemplaire réunit quatre livres de poèmes latins – Elegiæ. Varia Epigrammata. Amores Faustinae. Tumuli – composés par Du Bellay à Rome et à Paris entre 1553 et 1557. Notre recueil, également référencés sous les noms de Poemata et Œuvres latines, fut imprimé la même année que trois autres ouvrages de la période romaine : Les Regrets, Divers Jeux Rustiques et Les Antiquitez de Rome.
« Je parvins enfin à avoir les Poemata, recueil composé en latin durant la période romaine de Joachim du Bellay. Sa lecture fut une révélation, bouleversant ma compréhension de l’œuvre. » (Éric Crubézy, Le Cavalier de Notre-Dame)
Dans son manifeste de 1549, « l’angevin » écrivait contre les « reblanchisseurs de murailles » et leur poésie néo-latine. Pourtant, quatre années plus tard, dans la ville éternelle, l’auteur fut à son tour bilingue. À la différence des autres recueils dits « romains », Les Regrets, Les Antiquitez de Rome et Divers Jeux Rustiques, tous écrits en langue vernaculaire, les Poemata furent entièrement rédigés en langue universelle, le latin. On trouve dans la pièce Ad lectorem (f. 16), quelques vers dans lesquels Du Bellay tente de justifier sa légère contradiction intellectuelle. Il utilise pour sa défense une image parlante :
« Gallica Musa mihi est, fateor, quod nupta marito : Pro Domina colitur Musa Latina mihi. » [La Muse française est pour moi, je l’avoue, ce qu’une épouse est pour son mari. Et c’est comme une maîtresse que je courtise la Muse latine.]
Une autre muse accompagnait également le poète pendant son exil romain : Faustine, dont la « lumière » est omniprésente dans le livre des Amores. Sur le feuillet 37 de notre exemplaire, Du Bellay l’invoque sous une variété de désignations : elle est Pandore, dotée de tous les dons des dieux, mais aussi Déesse ou Colombe.
« Du Bellay l’aima vraiment, non plus de tête, comme il avait aimé Olive, mais avec son cœur et sa chair, d’une passion ardente, fougueuse, tourmentée. » (Henri Chamard)
Faustine des Poemata est une véritable romaine. La traduction de Thierry Sandre restitue son portrait : « elle avait des yeux noirs, des cheveux noirs, un front large d’une blancheur de neige, des lèvres couleur de rose, et des seins sculptés par les mains de l’Amour. Rome n’avait jamais vu et ne devait jamais voir femme plus belle, Faustine était charmante ». En 1558, au crépuscule de sa vie, Du Bellay ne chante plus l’amour théorique comme il a pu le faire dans ses premiers recueils français, notamment dans L’Olive en 1549. À Rome, au contact de la rime et de la femme latine, Du Bellay se livre sans retenue ni pudeur. « Quelle différence entre Olive et Faustine ! La jeune romaine ne pétrarquisait pas : l’aventure fut des plus simples. » (Les Amours de Faustine, introduction de Thierry Sandre). Mais bientôt le mari de Faustine, « trop froid, et laid, et vieux » (« Sed quod frigidulus conjux, turpisque, senexque » f. 36), « ce rustre » (« ferus » f. 34), met fin à la romance courte mais bien réelle qui liait le gentilhomme français et la dame romaine.
Lorsque Du Bellay quitte Rome à la fin du quatrième été. Jean Dorat, son professeur du collège de Coqueret, raille le retour de son brillant élève. Selon lui, en retrouvant sa patrie, Du Bellay se réappropriait certes la langue vernaculaire du commun des mortels, mais délaissait cependant les jouissances immortelles du latin. C’est également l’avis de Scévole de Sainte-Marthe qui écrit dans ses Elogia virorum illustrium :
« Si pauci sint qui in Gallica poesi parem habeant, pauciores sunt qui in Latina majores habeant. » [S’il n’y a presque personne qui soit son égal en poésie française, il y en a fort peu qui soient plus grands que lui en poésie latine.]
L’heureuse Odyssée romaine de l’« Ovide français » permettra à son art d’atteindre sa forme la plus aboutie avec Les Regrets, comportant ses plus beaux sonnets dont l’immortel Ulysse. Il existe une filiation entre ce chef-d’œuvre de la poésie française et notre ouvrage des Poemata, tous deux écrits simultanément. Sainte-Beuve identifie la version latine comme creuset du célèbre sonnet Heureux qui comme Ulysse, qui trouverait donc sa forme originale non pas dans la langue nationale, mais dans les vers latins du poème Patriae desiderium :
« Felix qui mores multorum vidit et urbes, / Sedibus et potuit consenuisse suis ! » (f. 35) [Heureux qui a vu les mœurs et les villes de beaucoup de peuples, et a pu vieillir dans son propre foyer.]
Les Poemata révèlent l’influence décisive de la poésie latine sur l’art poétique vernaculaire de Du Bellay. Ses écrits français ne seraient pas les mêmes sans cette base classique. C’est donc dans un contexte polyphonique que le versificateur s’est illustré pleinement dans la poésie française. Ce recueil unique contient également des dédicaces et des adresses directes à quelques figures illustres de la Renaissance française. Parmi celles-ci, le compagnon lyrique et ami intime de Du Bellay, Pierre de Ronsard, ou encore Marguerite de France, fille de François Ier et principale protectrice des auteurs de la Pléiade.
Précieuse édition originale des Poemata, ouvrage de la période romaine de Du Bellay, qui étonnamment, érige l’auteur de la Défense et illustration de la langue française en poète néo-latin de premier ordre. Cet ensemble – peu exploré – fut écrit par le poète dans la dernière décennie de son existence. Il se confie sur Faustine, une maîtresse tangible et non un simple amour de plume, ainsi que sur ses regrets de la patrie, ces derniers à l’origine des plus belles œuvres de Du Bellay.