Lettre autographe signée de Georges de Peyrebrune à Catulle Mendès, 2 pages à l'encre violette sur une carte, un manque de deux mots.
Appel désespéré et probablement inédit de la romancière féministe Georges de Peyrebrune adressé à son confrère le poète Catulle Mendès. Peinant à vivre de sa plume, Peyrebrune tente de placer un de ses contes dans le Journal, quotidien à grands tirages dont Catulle Mendès assurait la direction littéraire.
Comme le rapelle Lydia de Haro Hernández, "La notoriété de Georges de Peyrebrune expira pendant les premières années du XXème siècle, qui est la date du début d’un déclin progressif jusqu’à l’oubli absolu. Elle meurt dans l’indigence et la détresse, en novembre 1917, et son nom, comme celui de tant d’autres femmes, s’effaça de l’histoire". La présente lettre dévoile que Peyrebrune s'était tournée vers Catulle Mendès, le "patron des lettres françaises" (Elodie Lanceron), pour tenter d'obtenir davantage de visibilité et de rémunération :
"Puisque vous avez eu la bonté de faire encore une démarche pour réclamer qu'une justice, selon vous, tardive me fut enfin rendue, j'oserai, en vous remerciant de tout mon cœur, vous prier de faire encore cette grâce que mon nom paraisse une fois au Journal pour le tirer une minute de l’oubli. Voici un très ancien conte publié autrefois à l'Echo de Paris, je crois, et qui vous avait plu. [...] [Manque : Vous me] feriez un bien grand plaisir et je crois que cela me servirait en ce moment Quoique vous décidez, cher bon maître, soyez remercié, béni, aimé, admiré comme toujours par votre plus fervente [...] Peyrebrune"
Peyrebrune et les Mendès
Les rares lettres à Catulle Mendès et sa femme Jane, Jeanne Mette, (son « exquise confrère » écrira-t-elle dans son envoi autographe à celle-ci sur son roman Au pied du mât) complètent notre connaissance du combat de Peyrebrune pour son indépendance et la reconnaissance de ses pairs.
Peyrebrune, dans ses missives au ton parfois très désespéré adressées au mari de Jane, le « cher maître » Catulle, fait de multiples tentatives – parfois infructueuses – pour placer des contes dans les journaux dont il assurait la direction littéraire - ici Le Journal, où il anime une chronique dramatique hebdomadaire entre 1895 et 1909. Catulle Mendès, bien implanté au sein de réseaux mondains et littéraires qu’il animait avec panache, lui vient en aide à plusieurs reprises. L'écrivain Décadent, à la croisée de divers mouvements de la fin du siècle, était connu pour avoir endossé le rôle de mentor et de soutien pour de nombreux poètes symbolistes et écrivains naturalistes : Baudelaire, Mallarmé, Verlaine et Zola entre autres.
On lui doit la présentation du nom de Peyrebrune à la Légion d’honneur, aussi soutenue par Henry Houssaye, Jules Bois, José María de Heredia, Abel Hermant, Jules Claretie et Anatole France. Il rédige également une préface pour son roman Deux amoureuses (Lemerre, 1901). Mais il semble avoir manqué aux demandes de Peyrebrune, qui s’en plaindra dans quelques lettres à l’intéressé ainsi qu’à sa femme. La justice que Peyrebrune réclamait pour son œuvre ne lui fut malheureusement jamais rendue de son vivant.
Peyrebrune laisse ici dans cette pièce de correspondance inédite, le magistral "témoignage de son vécu personnel, les preuves des tracas subis dans sa lutte pour l’émancipation et l’empreinte de son cri de révolte contre l’indignité de la situation faite aux femmes" (Lydia de Haro Hernández).
Femme de lutte et de lettres
Républicaine et dreyfusarde, « Cette provinciale, qui ne comptait que sur elle-même pour s’introduire dans le monde littéraire parisien, n’étant ni fille, ni femme, ni amante de personne pouvant lui servir d’aval réussit à s’y faire une place considérable par le seul mérite de son travail » (Lydia de Haro Hernández). George de Peyrebrune fait partie intégrante des cercles de femmes de lettres de la Belle Epoque avec qui elle entretient amitiés et correspondance. Elle s'adonne avec détermination au journalisme d'obédience féministe – notamment dans La Fronde de Marguerite Durand, et défend la place des femmes dans les métiers littéraires. Avec Jane Catulle Mendès, elle siège dans le jury exclusivement féminin du prix littéraire de la revue La Vie Heureuse dont elle est contributrice. Aujourd’hui connu sous le nom de Prix Fémina, il se voulait une contre-proposition au prix Goncourt qui excluait les œuvres poétiques, et « vraisemblablement ne sera[it] jamais attribué à une œuvre de femme. Il appartenait à des femmes de supprimer, avec les autres, cette double restriction » (présentation du prix La Vie Heureuse, Hachette, en 1907). Peyrebrune dévoue une grande partie de son œuvre à dépeindre les vicissitudes de la condition féminine – elle-même issue d’une union adultérine (elle reçoit le nom de son hameau natal en Dordogne) et victime d’un mariage malheureux, Peyrebrune fait entendre les voix tues et dénonce les injustices sociales. Ses romans font les portraits tragiques de femmes battues écrasées sous la pression morale de leur temps (Victoire La Rouge), écrivaines dénigrées aux accents autobiographiques (Roman d’un Bas-bleu), mais présentent aussi des accents clairement naturalistes, comme Les Ensevelis sur la catastrophe minière de Chancelade. Malgré son succès, couronné par deux prix de l’Académie française, elle peine à vivre dignement de son œuvre. Le début du siècle marque le déclin de sa notoriété qui finira par plonger l’intégralité de son œuvre dans l’ombre et condamner Peyrebrune à une vieillesse miséreuse. L’histoire littéraire ne permit pas à deux George(s) de compter parmi les classiques. De ces deux écrivaines attachées à leur campagne (périgourdine pour l’une, berrichonne pour l’autre), on refuse l’immortalité à celle qu’on avait surnommée l’ « autre George Sand » et qui nourrissait d’ailleurs une grande admiration pour son aînée.