Lettre autographe signée de Georges de Peyrebrune à Jane Catulle-Mendès, 3 pages à l’encre violette sur un double feuillet, plis usuels inhérents à l’envoi.
Rare lettre probablement inédite de la romancière féministe Georges de Peyrebrune adressée à sa consoeur la poétesse Jane Catulle Mendès. Peyrebrune, qui peine à vivre de sa plume, avait échoué à publier l'un de ses contes. Consolée par sa destinataire, elle désire lui offrir une botte de lilas - symboles de séduction, de nostalgie et de féminité.
Femme de lutte et de lettres
Républicaine et dreyfusarde, « Cette provinciale, qui ne comptait que sur elle-même pour s’introduire dans le monde littéraire parisien, n’étant ni fille, ni femme, ni amante de personne pouvant lui servir d’aval réussit à s’y faire une place considérable par le seul mérite de son travail » (Lydia de Haro Hernández). George de Peyrebrune fait partie intégrante des cercles de femmes de lettres de la Belle Epoque avec qui elle entretient amitiés et correspondance. Elle s'adonne avec détermination au journalisme d'obédience féministe – notamment dans La Fronde de Marguerite Durand, et défend la place des femmes dans les métiers littéraires. Avec Jane Catulle Mendès, elle siège dans le jury exclusivement féminin du prix littéraire de la revue La Vie Heureuse dont elle est contributrice. Aujourd’hui connu sous le nom de Prix Fémina, il se voulait une contre-proposition au prix Goncourt qui excluait les œuvres poétiques, et « vraisemblablement ne sera[it] jamais attribué à une œuvre de femme. Il appartenait à des femmes de supprimer, avec les autres, cette double restriction » (présentation du prix La Vie Heureuse, Hachette, en 1907). Peyrebrune dévoue une grande partie de son œuvre à dépeindre les vicissitudes de la condition féminine – elle-même issue d’une union adultérine (elle reçoit le nom de son hameau natal en Dordogne) et victime d’un mariage malheureux, Peyrebrune fait entendre les voix tues et dénonce les injustices sociales. Ses romans font les portraits tragiques de femmes battues écrasées sous la pression morale de leur temps (Victoire La Rouge), écrivaines dénigrées aux accents autobiographiques (Roman d’un Bas-bleu), mais présentent aussi des accents clairement naturalistes, comme Les Ensevelis sur la catastrophe minière de Chancelade. Malgré son succès, couronné par deux prix de l’Académie française, elle peine à vivre dignement de son œuvre. Le début du siècle marque le déclin de sa notoriété qui finira par plonger l’intégralité de son œuvre dans l’ombre et condamner Peyrebrune à une vieillesse miséreuse. L’histoire littéraire ne permit pas à deux George(s) de compter parmi les classiques. De ces deux écrivaines attachées à leur campagne (périgourdine pour l’une, berrichonne pour l’autre), on refuse l’immortalité à celle qu’on avait surnommée l’ « autre George Sand » et qui nourrissait d’ailleurs une grande admiration pour son aînée.
Peyrebrune et les Mendès
On avait encore peu exploré son lien avec Jeanne Mette, son « exquise confrère » écrira-t-elle dans son envoi autographe à celle-ci sur son roman Au pied du mât. Devenue Mme Jane Catulle Mendès après son mariage avec le célèbre poète en 1897, elle se fait connaître pour ses poèmes, ses livrets de ballet et ses critiques dramatiques. Au cours de sa carrière, Peyrebrune cultive précieusement ses amitiés parmi ses sœurs d’armes, aussi pour pallier au manque de soutien de ses confrères masculins – Lydia de Haro Hernández décrit ces relations comme
« un vrai réseau d’entraide qui rapprochait ces femmes aux origines, aux convictions et aux situations personnelles parfois assez disparates, mais ayant toutes un point en commun qui devient un lien plus fort que tout autre: leur condition de femmes-de-lettres au milieu d’un monde essentiellement dominé par les hommes. Cette correspondance est parsemée de confidences personnelles, de désillusions propres aux aléas de la vie d’auteur, de mots de réconfort, de demandes d’entremise auprès de tel ou tel éditeur, des contraintes et des injustices qu’elles rencontrent dans leur chemin du fait de leur condition de femmes ».
C’est tout à fait le ton adopté par Peyrebrune dans ses missives à Jane, racontant ses déboires et son admiration pour sa belle amie, qui en retour la console des refus de Catulle Mendès d’intercéder pour la publication de ses œuvres :
"je suis bien persuadée que vous vous êtes employée de toutes vos forces pour m’être agréable
Et je vous en remercie. Tout de même si le maître l’avait bien voulu !..." écrit-elle dans cette lettre manuscrite.
Peyrebrune, dans ses missives au ton parfois très désespéré adressées au mari de Jane, le « cher maître » Catulle, fait de multiples tentatives – parfois infructueuses – pour placer des contes dans les journaux dont il assurait la direction littéraire (L’Echo de Paris, Le Journal). Elle confie également ses démarches pour obtenir des prix littéraires dont les dotations étaient essentielles à sa survie. Catulle Mendès, bien implanté au sein de réseaux mondains et littéraires qu’il animait avec panache, lui vient en aide à plusieurs reprises. On lui doit la présentation du nom de Peyrebrune à la Légion d’honneur, aussi soutenue par Henry Houssaye, Jules Bois, José María de Heredia, Abel Hermant, Jules Claretie et Anatole France. Il rédige également une préface pour son roman Deux amoureuses (Lemerre, 1901). Mais il semble avoir manqué aux demandes de Peyrebrune, qui s’en plaint dans ses lettres à l’intéressé ainsi qu’à sa femme. La justice que Peyrebrune réclamait pour son œuvre ne lui fut malheureusement jamais rendue de son vivant. Les rares lettres au couple Mendès que nous présentons complètent notre connaissance de ce combat pour son indépendance et la reconnaissance de ses pairs.
Précieuse et révélatrice pièce de correspondance d’une figure captivante de la Belle Epoque, malmenée par la postérité, qui tente de combattre le tragique destin presque toujours réservé aux autrices, encore tenues en marge d’un monde littéraire masculin.
Dimanche
Quelle charmeuse vous êtes, ma belle amie ! Vous trouvez le moyen de rendre les gens très heureux d’être déçus, tant pour les consoler vous y mettez de grâce !
[...] certes je ne saurais vous en vouloir, encore que ma contrariété soit vive, car je suis bien persuadée que vous vous êtes employée de toutes vos forces pour m’être agréable
Et je vous en remercie. Tout de même si le maître l’avait bien voulu !...
Je me proposais si vous étiez venue hier de vous faire cueillir des lilas. Je vous en envoie une botte bien campagnarde sentant bien la paille mouillée.
Aimez-vous les syringas ? J’en ai d’une espèce géante admirable ; [...]
Je le crois bien que je veux vous embrasser !
Peyrebrune