10 octobre 2025
Le premier recueil d'Hugo offert à son maître
Un rarissime et touchant envoi autographe signé de Victor Hugo, âgé de vingt ans, sur son premier recueil poétique : "A mon cher et respectable monsieur de la Rivière. Hommage de profond et reconnaissant attachement. Victor."
Le poète se souviendra sa vie durant avec tendresse et révérence de ce « vieux prêtre » (Les Rayons et les Ombres), auquel il avait déjà dédié son tout premier succès à seulement quinze ans, le poème sur le Bonheur que procure l’étude (1817) qui lui valut une distinction au concours de l’Académie française. Présence déterminante et bienveillante des jeunes années de « l’enfant sublime », M. de la Rivière a grandement contribué à l’éclosion de son précoce talent, et l’a initié aux joies de la poésie des Anciens – et même de la poésie en général, car il était connu pour versifier à ses heures perdues.
Victor Hugo demeurera auprès de son cher instituteur pendant près de six ans, de février-avril 1809 à février 1815. Pendant son interruption lors du voyage de la famille Hugo en Espagne, entre 1811-1812, il garda précieusement le Tacite qu’il lisait avec lui, désormais conservé dans sa maison de la place des Vosges. Le jeune Victor y avait inscrit le nom de la Rivière. Sur la décision de sa mère, farouche partisane de l’éducation libre,
« [Hugo] entre à l’âge de sept ans dans son « école de la rue Saint-Jacques où un brave homme et une brave femme enseignaient aux fils d'ouvriers la lecture, l'écriture et un peu d'arithmétique. Le père et la mère Larivière, comme les appelaient les écoliers, méritaient cette appellation par la paternité et la maternité de leur enseignement […] Ce Larivière, du reste, était un homme instruit et qui eût pu être mieux que maître d'école. Il sut très bien, quand il le fallut, enseigner aux deux frères le latin et le grec. C'était un ancien prêtre de l'Oratoire. La Révolution l'avait épouvanté, et il s'était vu guillotiné s'il ne se mariait pas ; il avait mieux aimé donner sa main que sa tête. Dans sa précipitation, il n'était pas allé chercher sa femme bien loin ; il avait pris la première qu'il avait trouvée auprès de lui, sa servante » (Victor Hugo raconté par un Témoin de sa Vie, tome I, pp. 51-52.)

Enseignant bien loin des institutions officielles, le père Larivière ou M. de la Rivière, ou encore même l’abbé La Rivière comme l’appellera Hugo dans Actes et Paroles, reste un personnage peu connu. On a même pensé que cet homme avait été créé de toutes pièces par Hugo. Après avoir accueilli Victor-Marie et son frère Eugène dans son école rue Saint-Jacques, il leur donna directement cours chez leur mère aux Feuillantines. Ces années demeurèrent à jamais pour Hugo une période idyllique, qu’il résumera dans ce charmant et célèbre tableau :
« J’eus dans ma blonde enfance, hélas ! trop éphémère, / Trois maîtres : - un jardin, un vieux prêtre et ma mère ».
Après le cocon des Feuillantines, les frères Hugo furent enlevés à leur mère le 13 février 1815, victimes des dissensions conjugales entre le général et sa femme. Conduit à la pension Cordier-Decotte pour préparer l’école Polytechnique, Hugo en gardera un misérable souvenir :
« Ni Cordier ni Decotte, mais encore moins le second, n’auront la confiance et la sympathie du jeune Victor, et ils ne seront pas des intercesseurs intellectuels comme avait su l’être le modeste Père Larivière. » (Mireille Armisen-Marchetti).
Devenu un ami pour l’écolier de naguère, le vieil instituteur n’avait même pas réclamé tout son dû pour les leçons prodiguées aux frères Hugo. Il s’adressera finalement à Hugo trois ans après la parution de ce recueil, poussé par la nécessité. Pour rembourser sa dette, le jeune poète à peine sorti de l’adolescence sacrifiera une montre en or dont il souhaitait faire l'acquisition : « Le peu que nous savons, le peu que nous valons, nous le devons en grande partie à cet homme vénérable » écrira-t-il à son père en le pressant de s’acquitter du reste (18 juillet 1825). La mémoire de son ancien maître ne le quittera jamais, comme le rappelle Raymond Escholier : « Quarante-trois ans plus tard, à l'heure du péril suprême, quand, traqué comme son parrain, il lui faut fuir Paris sous un nom d'emprunt, il choisit un moment le nom de son vieux maître, le P. La Rivière ».
Une rarissime tribut poétique du jeune Hugo âgé de vingt ans, à son premier maître qui lui fit découvrir la poésie : « Le digne prêtre précepteur s’appelait l’abbé de la Rivière. Que son nom soit prononcé ici avec respect. » (Actes et Paroles).