Lettre autographe signée de Victor Segalen adressée à Emile Mignard. Six pages rédigées à l'encre noire sur une carte lettre.
Emile Mignard (1878-1966), lui aussi médecin et brestois, fut l'un des plus proches amis de jeunesse de Segalen qu'il rencontra au collège des Jésuites Notre-Dame-de-Bon-Secours, à Brest. L'écrivain entretint avec ce camarade une correspondance foisonnante et très suivie dans laquelle il décrivit avec humour et intimité son quotidien aux quatre coins du globe. C'est au mariage de Mignard, le 15 février 1905, que Segalen fit la connaissance de son épouse, Yvonne Hébert.
Lettre fondamentale dans laquelle Segalen, fraîchement débarqué à Nouméa, évoque la création de son œuvre à venir, les Immémoriaux.
Cette missive s'ouvre sur une brève et sévère description de la capitale néo-calédonienne : « Arrivée lugubre à Nouméa. [...] le décor de faubourg charbonneux de quelque ville de province, la pluie, la boue noire, les silhouettes pelées des collines rêches, le voisinage du bagne, et ces mines patibulaires de libérés, à chaque instant coudoyés...ça ne constitue pas un sympathique patelin ! » Une escale a pourtant marqué le jeune docteur : « Un arrêt aux îles Wallis, en venant. C'est un protectorat Français. Un roi-mannequin aux mains des Pères Maristes. Un despotisme complet. » La description faite des conditions de vie des habitants tranche radicalement les mœurs très libres des Tahitiens : « Pas d'alcool. Pas de plaisirs fornicateurs. Le wharf [Appontement permettant l'accostage des navires] est le produit de nombreux adultères ; et tout spasme illégitime se transforme ainsi en travail d'utilité publique : on paie 15 f d'amende ou on exécute un mètre cube de maçonnerie. » Segalen s'étonne des bienfaits d'une telle rigueur : « Et allez donc ! les voilà, du coup à l'abri des tentations naturelles...Résultat ou coïncidence ? Toujours est-il que la population s'accroît dans des proportions énormes ; et c'est plutôt exceptionnel en Polynésie. » Toujours très concerné par le sort des Maoris, il envisage toujours d'écrire un livre qui rendra hommage à ces peuples dont la culture a été pervertie par la colonisation européenne : « J'ai une certaine pudeur à parler de projets qui ne sont que projets. Pour toi elle disparaît. Et voici la « réalisation » de ce qui me hante : Titre : « LE PROMENEUR DE NUIT ». Un « harepo », prêtre de Taaroa, initié à la société des « Arioï », sent vaguement le monde Polynésien s'en aller... Vers 1820-1830 ; au moment où la civilisation meurtrière s'infiltre dans ces terres-enfants... [...] Je voudrais que ce soit le roman de la race elle-même [...] » L'ouvrage portera finalement le titre Les Immémoriaux et paraîtra en 1907 au Mercure de France sous le pseudonyme de Max-Anély (Max en hommage à Max Prat et Anély, l'un des prénoms de sa femme), Segalen n'étant pas autorisé, en sa qualité de médecin militaire, à signer une œuvre fictionnelle de son patronyme.
Toute première lettre à évoquer la création des Immémoriaux, superbe hommage de Victor Segalen à la civilisation maorie.