Manuscrit inédit, anonyme et non daté. Cetravail d'historien semble avoir été rédigé par un ancien officier de marine qui se trouvait à bord de la Patronne, galère de tête de l'arsenal de Louis XIV.
Écriture fine et lisible, quelques rares ratures et ajouts.
Reliure XVIIIème en pleine basane brune, dos à cinq nerfs richement orné de fleurons, roulettes et caissons dorés, ainsi que d'une pièce de titre de maroquin rouge indiquant « Journal des saluts », roulettes dorées sur les coupes et les coiffes, plats frappés en leur centre des armes de Louis Bouthillier marquis de Villesavin, toutes tranches rouges. Quelques très habiles restaurations au mors avec petites reprises de dorures.
Louis Bouthillier (?-1694) fut fait chevalier de Malte en 1657. Il est l'un des fils de Léon Bouthillier (1608-1652), qui fut un fidèle de Richelieu et secrétaire d'État aux affaires étrangères. On retrouve dans la généalogie des Bouthillier plusieurs personnes ayant eu des liens avec la Marine.
L'ouvrage est une étude technique exhaustive du salut maritime : cérémonial ou étiquette rendu d'un navire à un autre, divisée en chapitres organisés comme suit :
De la campagne de Gigery (sic, Djidjelli) en l'année 1664
De la campagne des galères en l'année 1665 commandées par Mr le Comte de Vivonne
De la campagne des galères commandées par Monseigneur le Marquis de Ternes en l'année 1668
De la campagne des galères commandées par Mr le Comte de Vivonne en l'année 1669 au voyage de Candie
De la campagne des galères commandées par Mr le Comte de Vivonne en l'année 1671
De la campagne de l'Escadre de 10 galères commandées par M. de Manse par le service de Mr le Duc de Savoye en l'année 1672
De la première campagne d'une escadre de dix galères commandées par Mr de la Brossardière en l'année 1673
De la 2ème campagne d'une escadre de dix galères commandées par Mr de la Brossardière en l'année 1673
Suite des 2 campagnes
De la campagne des galères commandées par Mr de la Brossardière en l'année 1674
De la campagne des galères commandées par Mr de la Brossardière premier chef d'escadre portant l'étendart (sic) de Patronne en l'année 1675
De la campagne des galères commandées par Mr de la Brossardière premier chef d'escadre en l'année 1676
De la campagne des galères en l'année 1677
Copie d'un mémoire envoyé par Mr de Manse à Mr le marquis de Seignelay sur la rencontre de la Capitane de Malte avec la Patronne de sa Majesté
Lettre de sa majesté au grand maistre de Malte
Lettre du Bailly d'Hautefaiil ( ?) ambassadeur de la religion au Grand Maistre
De la campagne des galères en l'année 1678
De la 2ème campagne des galères commandées par Mr de la Brossardière en l'année 1678
De la campagne des galères commandées par Mr le Maréchal de Vivonne en l'année 1679
Des trois campagnes des galères en l'année 1680
De la première d'une escadre de 8 galères commandées par Mr le Commandeur d'Opede
Seconde campagne des galères sous le commandement de Mr le Chevalier de Noailles en 1680
De la 3ème campagne des galères commandées par Mr le Chevalier de Noailles en 1680
De la 1ère campagne des galères commandées par Mr le Duc de Mortemart en l'année 1681
De la 2ème campagne des galères commandées par Mr le Duc de Mortemart en l'année 1681
Cérémonies qui furent faites à l'enterrement de Mr le Commandeur d'Opede, chef d'escadre des galères de la Majesté le...octobre 1681
Conseil tenu sur l'honneur qu'on rendrait à M. le Duc de Vandosme gouverneur de la Province le 9 novembre 1681
De la campagne des galères commandées par Mr le Chevalier de Noailles en l'année 1682
De la campagne des galères commandées par Mr le Chevalier de Noailles en l'année 1683
De la campagne des galères commandées par Mr le Duc de Mortemart en l'année 1684
De la campagne de quatre galères commandées par Mr de Montolieu en l'année 1685
Saluts qui se sont faits dans le Port de Marseille pendant la présente année 1685
D'une campagne de quinze jours sous le commandement de Mr le Chevalier de Breteuil chef d'escadre en l'année 1686
De la campagne de 15 galères commandées par Mr le Commandeur de Bethomas en l'année 1687
Cette première partie s'achève sur une table très détaillée du Journal des saluts, et est suivie d'une troisième partie intitulée Mémoire sur les saluts des galères présenté à Mr le Marquis de Seignelay par Mr de Viviers Capitaine de galère en l'année 1685, constituée des points suivants :
Des places et des galères du Pape
Des places et des étendards d'Espagne
Des places et des étendards des Princes et des Républiques
Des places et des étendards du Grand-Duc
Des places et des étendards de la République de Gennes
Des places et des étendards de la Religion de Malte
Des places de Monsieur le Duc de Savoye
Des places et des étendards de la République de Venise
De la ville de Monaco
Des étendards en général des têtes couronnées, des princes et Républiques dont il n'est point parlé en particulier dans ce mémoire
Des places et des étendards de sa majesté
Mémoire sur les saluts donné à Mr Colbar (sic : Colbert) le 5 janvier 1671
Le manuscrit que nous présentons concerne justement cette période de grand développement puis d'essor de la Marine française. L'entreprise de Louis XIV et Colbert fut spectaculaire, comme le souligne Olivier Chaline : « La construction d'une véritable marine de guerre française fut remarquable, tant par son ampleur que par sa rapidité. D'un noyau initial de 31 unités [...], on passe à 123 en 1671. » (« La marine de Louis XIV fut-elle adaptée à ses objectifs ? », Revue historique des armées, 263, 2011, p. 40-52)
Depuis l'Antiquité, les équipages des galères (aussi appelés « chiourmes ») étaient constitués d'hommes pauvres mais libres qui n'avaient d'autre choix pour survivre de rejoindre le corps maritime. Sous le règne absolutiste de Louis XIV les galères devinrent synonyme de bagne ; y furent envoyés les déserteurs, les contrebandiers, les faux-monnayeurs et divers vagabonds, puis, après la révocation de l'Édit de Nantes (1685), bon nombre de Protestants. La France devint ainsi le premier pays à envisager le statut de galérien sous un angle punitif et ce furent ainsi près de 40 000 condamnés qui se succédèrent sur les bancs des galères entre 1661 et 1715.
Ces navires dont la vitesse réduite (deux nœuds) ne permettait qu'une navigation en mer Méditerranée revêtaient un aspect spectaculaire et une fonction diplomatique capitale. Dans cette perspective, on comprend l'importance d'un cérémonial comme le salut. Le rédacteur du manuscrit n'a de cesse de souligner la dimension protocolaire de cette tradition, la décrivant avec une grande minutie. Le salut ou cérémonial maritime fait l'objet de règles très précises consignées dans le Code des armées navales. Toussaint dans son Code des préséances et des honneurs civils, militaires, maritimes, ecclésiastiques et funèbres (1845) explique : « On attachait autrefois une grande importance à toutes les pratiques qui constituent le cérémonial maritime ; on les considérait comme une marque d'infériorité de la part de ceux qui s'y soumettaient ; comme un aveu de la suprématie de la nation à laquelle ils accordaient le salut, ou de la souveraineté de cette nation sur le vaisseau. Des peuples ont abusé de leur puissance sur mer pour exiger ces marques de soumission qui compromettaient le principe de l'indépendance des nations. Il en est résulté des contestations qui ont plusieurs fois abouti à l'emploi de la force. - Pour obvier à ces collisions, il est intervenu un grand nombre de traités, dont les uns ont aboli le salut sur mer ; d'autres, conservant le salut, en ont réglé les formes et l'usage ; d'autres enfin l'ont établi dans leurs ports respectifs sur le pied de l'égalité ». Louis XIV, dont chacun connait le goût du cérémonial, choisit de conserver la tradition du salut maritime, allant jusqu'à promulguer plusieurs arrêts codifiant cette pratique.
Notre manuscrit est le reflet parfait de ces réglementations draconiennes. D'une grande rigueur, l'auteur décrit parfaitement les tensions résultant de l'acceptation ou du refus de ces manœuvres. Il fait preuve d'une très grande précision concernant les dates, les noms des navires, les lieux de rencontre et les différents acteurs, tout en passant sous silence le contexte historique parfois capital comme la bataille de Djidjelli ou le siège de Candie.
L'auteur dresse ainsi un panorama exhaustif de ces chorégraphies, projections sur le théâtre du monde de l'« étiquette versaillaise » et de ses traits parfois caricaturaux mais aux enjeux diplomatiques de premier ordre.
Précieuse étude et unique témoignage d'un aspect de la complexité protocolaire instaurée par Louis XIV dans la Marine royale française alors en plein essor.