Lettre autographe probablement inédite signée de Félix Fénéon adressée à Gabriel Mourey, 86 lignes à l'encre noire sur 4 feuilles, traces de pliure inhérentes à la mise sous pli de la lettre.
Témoin et acteur privilégié de son époque, le critique d'art et collectionneur Félix Fénéon aide l'auteur Gabriel Mourey dans ses recherches pour retrouver des archives et témoignages sur Paul Signac, les symbolistes, l'Académie Mallarmé ou Maurice Barrès : "Votre cher confrère le chirurgien Charles Cachin, gendre du peintre Paul Signac (1863-1935), me dit que la mort récente de sa belle-mère l'a fait hériter d'archives conservées un demi-siècle par ce peintre bon lettré et grand épistolier, et qui concernent l'époque héroïque du symbolisme et du néo-impressionnisme (1). Comme il ajoutait que leur masse inextricable l'intimidait, lui et sa femme, et les faisait hésiter à y faire des percées ; je lui ai appris que vous étiez curieux précisément des vestiges littéraires de cette période-là et lui ai demandé s'il m'autorisait à vous révéler qu'il en détenait tout un dépôt."
Personnalité majeure de l'Avant-garde, Fénéon avait le talent de débusquer les plus grands artistes. Cet étrange dandy volontairement discret, fit le vœu de servir quasi religieusement tout ce qui dans l'art forme une nouvelle sensibilité. Défenseur des néo-impressionnistes Seurat et Signac, ami de Mallarmé et de Camille Pissaro, de Paul Adam, Gustave Kahn, anarchiste puis communiste, directeur d'une douzaine de petites revues, il publia des œuvres neuves telles les Illuminations de Rimbaud, le Paludes d'André Gide, Dédalus de James Joyce. Prolifique journaliste, il écrivit partout et ne signa pas ses articles ou emprunta même des pseudonymes extravagants comme Gil de Bache, Porphyre Kalouguine, voire Thérèse ou Louise.
Au détour de l'enquête Fénéon se remémore aussi sa journée passée devant le cortège funèbre de Victor Hugo en compagnie de Maurice Barrès : "Barrès ne se lassait pas du spectacle de la liesse populaire, s'émerveillant à juste titre que le peuple de Paris eût spontanément trouvé la seule digne façon de faire ses adieux à un poète national chargé d'ans et de gloire.".
Ces phrases représentent un rare témoignage de ce légendaire discret qui n'aspira jamais à la notoriété et qui se donna les moyens pour, qu'après sa mort, le souvenir de sa personne disparaisse. Cette volonté de faire disparaitre ses traces, on la retrouve à la fin de cette lettre où il explique comment il éparpilla minutieusement le peu de correspondance qu'il avait conservé : "Des documents, personne n'en a moins que moi. En principe je ne gardais pas les lettres. Par exception j'avais conservé la correspondance de Paul Signac et celle, beaucoup moins volumineuse, de Ch[arles] Henry. J'ai rendu celle-là au scripteur, donné celle-ci à la Bibliothèque de la Sorbonne, et, en novembre dernier, offert à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, 10 place du Panthéon, qui ne les avait pas, un lot de vieilles revues symbolistes, parmi lesquelles les n°2 et 3 des Taches d'encre de Barrès. Je n'ai jamais lu volontiers un livre dans un exemplaire illustré, ou rare, ou sur grand papier, ou à reliure méditée. Je n'ai donc pas de bibliothèque. Je n'ai jamais écrit une page de mémoire. Bref, j'arrive à la fin de ma vie sans papiers."
Exceptionnelle et émouvante lettre probablement inédite de Félix Fénéon, souvenirs d'une vie au détour d'une enquête archivistique.