Lettre autographe signée par Charles de Gaulle, datée de sa main du 16 février 1948. 4 pages rédigées à l'encre noire sur un bifeuillet bordé de noir sur la première et la dernière page. Trace de pli transversal inhérente à l'envoi.
Déchirante lettre, très probablement inédite, du général en deuil de sa fille Anne "qui gardait dans les yeux cette étincelle qui réchauffait [son] cœur de militaire en proie aux doutes et aux désillusions".
Ce document exceptionnel adressé par le général à « Mon cher, mon très cher Pierre » a probablement été écrit à son frère cadet, Pierre de Gaulle. Le ton éminemment intime de cette missive, et le contenu qui n'a d'égal que la lettre qu'il envoya à sa fille Elizabeth en cette triste occasion, permet de corroborer l'identification du destinataire.
Anne, atteinte du syndrome de Down, a tout juste vingt ans lorsqu'elle meurt le 6 février 1948 d'une broncho-pneumonie, dans les bras du général. Toujours entourée de sa famille, jamais exposée au cruel regard du monde, Anne mena une existence enveloppée de la constante tendresse d'un père aimant et soucieux de son bonheur. Le général consentira à beaucoup de sacrifices afin de la garder auprès d'elle durant ses déplacements : au Liban, puis de la Grande-Bretagne à Alger durant la guerre.
Il était de notoriété publique, et son fils Philippe l'a corroboré par ses témoignages, que De Gaulle ne montra jamais de signes d'affliction ou d'émotion face aux grandes épreuves de sa vie. Il en sera de même lors de la disparition de sa chère enfant ; ses paroles rapportées à cet événement font preuve d'un grand stoïcisme face au ton extrêmement accablé de cette missive : « C'est la main encore tremblante que je réponds à votre télégramme qui, aux heures tristes que les miens et moi-même traversons, est venu me rappeler avec quelle sincérité votre vieille amitié était indéfectible. Ma pauvre petite s'en est allée [...] ». L'homme du 18 juin se met à nu dans ses lignes d'une grave et rare intensité, consentant à montrer son chagrin à son cher frère, loin des paroles résignées qu'on lui prête dans ses biographies : « [...] bien que la peine qui m'a envahi me couvre le cœur et l'âme d'une langueur telle que je ne pensais jamais devoir vivre une si lourde, je remercie le Seigneur de lui avoir épargné toute souffrance au moment de quitter ce monde. Vous vous souvenez, mon cher ami, qu'elle affection j'avais pour cette enfant ». Sa fille cadette fut sans doute sa plus grande épreuve personnelle et familiale, mais aussi un indéfectible soutien, comme le montre cette lettre, alors que le fardeau d'une nation entière reposait sur ses épaules : « Aux heures les plus pénibles de mon existence, alors que les hommes tournaient le dos à l'honneur et aux nobles sentiments, elle gardait dans les yeux cette étincelle qui réchauffait mon cœur de militaire en proie aux doutes et aux désillusions ».
Le souvenir d'Anne demeurera toujours vivace dans le couple De Gaulle, qui ira se recueillir chaque année sur sa tombe à l'anniversaire de sa disparition : « Elle repose aujourd'hui dans cette terre fraîche de Colombey où un jour son sourire m'accueillera moi le vieux chef, et elle à jamais fillette car ainsi l'a voulu la vie » termine-t-il. Sa mémoire perdure également au travers de l'institution qu'ils ont fondée en son nom, la Fondation Anne de Gaulle, structure d'accueil pour les enfants atteints de trisomie, sise au Château de Vert-Cœur.
Exceptionnels et sublimes mots d'un père et chef d'Etat accablé par la douleur de la disparition de sa fille, dont la lumière éclaira ses plus sombres moments à la tête de la France libre.