Exceptionnelle invitation imprimée avec quelques ajouts manuscrits à l’encre noire, notamment la date et le nom des illustres invités : « Madame Récamier, par Monsieur de Chateaubriand ». Une signature complète ce feuillet ; il se pourrait que ce soit celle du peintre Charles Thévenin.
Pliure inhérente à l’envoi, quelques manques à la marge gauche, papier légèrement froissé en bas à droite, petites taches.
François-René de Chateaubriand convie la célèbre femme de lettres Juliette Récamier à une réception donnée en l’honneur d’un groupe d’Osages, membres de la tribu amérindienne proche du Nouveau-Mexique du même nom. En ce mois de septembre 1827, les deux amants fêtent le dixième anniversaire de leur relation à la fois amicale, amoureuse et intellectuelle. Leur rencontre remonte en réalité bien avant 1817 : elle eut lieu en 1801, au lendemain de la publication du premier roman de l’écrivain, Atala ou les Amours de deux sauvages dans le désert. Dans ses Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand se souviendra de ce premier émoi :
« Je ne me souviens plus si ce fut Christian de Lamoignon ou l’auteur de Corinne qui me présenta à madame Récamier son amie [...]. Au sortir de mes bois et de l’obscurité de ma vie, j’étais encore tout sauvage ; j’osais à peine lever les yeux sur une femme entourée d’adorateurs. Environ un mois après, j’étais un matin chez madame de Staël [...] Entre tout à coup madame Récamier, vêtue d’une robe blanche ; elle s’assit au milieu d’un sofa de soie bleue. Madame de Staël, restée debout, continua sa conversation fort animée, et parlait avec éloquence ; je répondais à peine, les yeux attachés sur madame Récamier. Je n’avais jamais inventé rien de pareil, et plus que jamais je fus découragé : mon admiration se changea en humeur contre ma personne. Madame Récamier sortit, et je ne la revis plus que douze ans après. Douze ans ! quelle puissance ennemie coupe et gaspille ainsi nos jours ! »
François-René de Chateaubriand le « sauvage » du Nouveau Monde s’éprit de la salonnière Juliette Récamier. En 1827, comme on peut le constater à travers cette invitation, les passions de l’écrivain pour Juliette et pour la thématique du « sauvage » demeurent intactes. Comme le Tout-Paris, en ce début de mois de septembre, il souhaite rencontrer les Osages qui voyagent dans l’Europe du XIXe siècle. Les six membres de cette tribu amérindienne, originaire des régions proches du Nouveau-Mexique, débarquent au Havre le 27 juillet 1827. Très vite, ils se retrouvent au centre de toutes les attentions. Plusieurs réceptions les attend, notamment chez la duchesse de Fitz-James, au château de la Rivière-Bourdet, puis en présence du roi Charles X au château de Saint-Cloud. Lorsqu’ils entrent dans la capitale le 13 août 1827, l’effervescence est à son paroxysme : « Les femmes jouaient avec leurs éventails décorés de portraits des Osages, les fillettes avaient des sacs brodés de figurines osages, les presse-papiers pour les étudiants représentaient le groupe des six Osages, les pâtissiers faisaient des Osages en sucre ou en pain d’épices. Dans les cafés, le “punch aux Osages” faisait concurrence aux “glaces à la giraffe” et, chez les modistes, le brun osage détrônait la couleur “ventre de giraffe”. » (« Une visite aux Osages », Le Courrier des dames)
Cet imaginaire qui entoure les Osages fut fut largement nourri par des œuvres littéraires, telles que Atala, Les Natchez ou encore Voyage en Amérique de Chateaubriand, paru justement la même année que l’arrivée des Osages en France. Il n’est donc guère surprenant que le père de tant d’œuvres "américaines" ait reçu une invitation à les rencontrer. Il semble toutefois que l’invitation ait été transmise par un autre canal : l’agent qui accompagnait les Osages n’était autre que le colonel David Delaunay, ami d’enfance de l’écrivain.
Exceptionnelle invitation qui réunit sur un même feuillet les deux célèbres amants, Chateaubriand et Récamier, ainsi que les Osages ayant parcouru la France de 1827.