Un feuillet manuscrit autographe d'Emile Zola, extrait des premiers paragraphes de La Bête Humaine, plusieurs lignes biffées d'abondants traits de plume. 17 lignes à l'encre noire sur un feuillet.
Discrètes traces de plis transversaux, taches au verso vierge du feuillet, comprenant une mention au crayon d'un précédent bibliographe.
Exceptionnel feuillet original de la grande fresque sociale des Rougon-Macquart : La Bête Humaine. Ce précieux fragment correspond à une version de travail du troisième feuillet du manuscrit complet, conservé à la Bibliothèque nationale de France.
Notre manuscrit débute à la huitième phrase du roman, et contient la première mention de la gare du Havre, inaugurant l'itinéraire Saint-Lazare-Le Havre autour duquel s'articulent toutes les intrigues de ce chef d'oeuvre de la littérature française. Le passage, consacré à la minutieuse description de la gare Saint-Lazare, constitue un véritable pendant littéraire des toiles de Monet peintes dans cette même gare, que Zola avait admirées une dizaine d'années plus tôt au Salon des Impressionnistes.
Le passage plante le décor ferroviaire du roman, du point de vue de Roubaud, sous-chef de gare au Havre. Ce manuscrit de travail sera remis au propre dans le 3e feuillet du manuscrit final de la BnF. Ils commencent tous deux de la même manière, à la lettre près, décrivant les trois double voies de la gare, qui "allaient se per]dre sous les marquises". Le présent texte renferme même davantage de détails que les versions manuscrites postérieures - une phrase biffée dans notre feuillet est absente du manuscrit de la BnF: "Deux sons de trompe, au loin, annonçait [sic] l'arrivée d'un train de Versailles" et un passage a été très largement retravaillé : "l'arrivée du train de trois heures vingt-cinq venant de Caen encombrant encore les quais" a été réduit dans la version manuscrite ultérieure à "l'arrivée l'un train de Mantes avait animé les quais". Sons et couleurs s'entrechoquent, la machinerie percée de lumières écarlates rappelle l'influence des toiles de Monet de la Gare Saint-Lazare, et annonce les scènes sanglantes à venir : "Dans l'effacement confus des wagons et des machines encombrant les rails, un grand signal rouge tachait le jour pâle".
Sublime témoignage de la genèse de La Bête Humaine, cette « étude du crime, avec une échappée sur la magistrature », se déroulant dans les antres de la modernité industrielle. Ces lignes du maître du Naturalisme semblent traduire la "poésie des gares" tant célébrée dans la peinture de Monet, le maître de l'Impressionnisme.
Transcription :
"[les trois doubles voies qui sortaient du pont, se ramifiaient, s'écartaient en un éventail dont les branches de métal, multipliées, innombrables, allaient se per]dre sous les marquises. Les trois postes d'aiguilleur, en avant des arches, montraient leurs petits jardins nus. Dans l'effacement confus des wagons et des machines encombrant les rails, un grand signal rouge tachait le jour pâle.
Pendant un instant, Roubaud s'intéressa, comparant, songeant à sa gare du Havre. Chaque fois qu'il venait de la sorte passer un jour à Paris, et qu'il descendait chez la mère Victoire, le métier le reprenait. Deux sons de trompe, au loin, annonçait [sic] l'arrivée d'un train de Versailles. Sous la marquise des grandes lignes, l'arrivée de trois heures vingt-cinq venant de Caen encombrant encore les quais d'un train de Mantes avait animé les quais ; et il suivit des yeux la machine de manoeuvre une petite machine tender, aux trois roues basses et couplées, qui commençait le débranchement du train allant, venant"