Edition originale, un des 50 ex numérotés sur Hollande, seuls grands papiers avec 15 Chine et 15 Whatman.
Reliures en plein maroquin brun, dos lisses richement ornés d'un caisson longitudinal, enrichi de fleurons et de petites rosaces, date en queue, quintuple filets et pointillés dorés en encadrement des plats, gerbes et fleurons dorés en écoinçons, doubles filets dorés sur les coupes, roulettes dorées sur les coiffes, contreplats doublés de soie, maroquin brun estampé d'un quintuple filets dorés en encadrement, double gardes de papier à la cuve, couvertures et dos conservés, exemplaire non rogné, reliure signée Dodé.
Double envoi autographe plein d'amour signé de Victor Hugo à son petit-fils Georges. Le premier sur la page de titre du tome I :" A mon doux Georges, qui s'appelle dans le livre René-Jean". Le second inscrit sur le premier plat de couverture du tome III : "Exemplaire de monsieur le Petit Georges." et sur la page de faux-titre: "A René-Jean".
Infimes déchirures marginales et traces très claires d'une ancienne mouillure affectant de rares feuillets.
Si, dès la naissance de Georges et Jeanne, Victor Hugo témoigne d'une réelle passion pour ses petits-enfants, c'est à la mort prématurée de leur père Charles en 1871 que cette affection donne un sens nouveau à la vie du poète.
Profondément marqué par la perte successive de ses enfants, Léopold, Léopoldine, Charles et son premier petit-fils Georges, et par l'internement définitif d'Adèle ("Ma pauvre fille, Adèle, plus morte que les mortes"), Victor Hugo entame Quatrevingt-Treize sous l'égide des derniers-nés : "J'ai (...) sous mes yeux, le portrait de Charles et les deux portraits de Georges et de Jeanne, j'ai pris l'encrier neuf de cristal acheté à Paris (...), j'ai pris une bonne vieille plume et je me suis mis à écrire" (in "Carnets", le 21 novembre 1872).
Georges y est peint sous les traits de René-Jean. Il est avec sa sœur, un des personnages centraux de cette fresque post-révolutionnaire traversée par la question de la filiation : "au-dessus des royautés, au-dessus des révolutions, au-dessus des questions terrestres, il y a l'immense attendrissement de l'âme humaine, la protection due aux faibles par les forts, (...), la paternité due à tous les enfants par tous les vieillards".
Quatrevingt-Treize, dernier grand roman de Victor Hugo, marque en effet la conversion du romancier à cet "Art d'être grand-père" dont il fera un recueil trois ans plus tard et qui, bien plus qu'un statut familial, témoigne d'une position politique et historique.
Dès le début du roman, les orphelins sont adoptés par un bataillon républicain, modèle héroïque mais paternité impuissante : "Qui avait soin de ces enfants ? (...) Ces sauvages paysans combattants (...) leur donnaient leur part de soupe. Voilà tout. Les petits s'en tiraient comme ils pouvaient. Ils avaient tout le monde pour maître et personne pour père".
A cette forme d'échec de la filiation dans l'engagement politique répond une seconde tentative, à travers le marquis de Lantenac, chef royaliste et figure ambivalente de l'aïeul à la fois bourreau et sauveur : "Quand j'ai vu cet individu de quatre-vingts ans se jeter dans le feu pour en tirer les trois mioches, j'ai dit : Bonhomme, tu es un brave homme!"
Hugo, qui a 70 ans à la rédaction du roman, y révèle ainsi des sentiments complexes de culpabilité et responsabilité devant l'Histoire, dont les enfants ne sont plus les victimes comme dans "Les misérables" mais les rédempteurs: " Cette conscience si haute et si obscure eut l'éblouissement de l'innocence, le vieillard donna à l'enfant un baiser".
Ainsi, le roman est un véritable hommage adressé à ces petits-enfants qui rempliront bientôt toute la vie de Hugo, puisque François Victor, son dernier fils, meurt à la fin de l'année 1873 : "Encore (...) une fracture suprême dans ma vie. Je n'ai plus devant moi que Georges et Jeanne..." (p.980 Decaux)
C'est encore eux qui inspirent la dernière grande œuvre de Victor Hugo : "L'Art d'être Grand père" en 1877. (Les recueils suivants sont des compilations d'écrits antérieurs inédits.) On y retrouve la même idéalisation de l'enfance : "Moi qu'un petit enfant rend tout à fait stupide, j'en ai deux ; Georges et Jeanne ; et je prends l'un pour guide et l'autre pour lumière". ("Georges et Jeanne").
Enfin, comme un écho aux poèmes de Hugo transcrivant ses premières paroles : " Mon petit Georges (...) a trouvé pour moi ce nom de Papapa", c'est Georges qui rapportera les derniers mots de son Grand-Père : " ...Mes chers petits ! ¬ Et le dernier regard de Papapa fut sa dernière bonté ".
Exceptionnel exemplaire, parfaitement établi.