Première édition illustrée de phototypies de Gervais-Courtellemont, dont il n'est pas fait mention de grands papiers.
Reliure en demi maroquin rouge à coins, dos à quatre nerfs rehaussés de pointillés dorés, orné de motifs floraux mosaïqués de pièces de maroquin de différentes couleurs, filet doré en encadrement, date en queue, filet doré sur les plats, contreplats et gardes de papier marbré, couvertures et dos conservés, tête dorée, reliure signée de Vauthrin.
Exemplaire unique enrichi de nombreuses corrections autographes de Pierre Loti en vue d'une réédition chez Calmann-Lévy.
Cet exemplaire destiné, dans un premier temps, à la comtesse de Martel, connue sous le nom de plume de Gyp, comporte un envoi autographe signé de Pierre Loti entièrement biffé par l'auteur. L'exemplaire, abondamment corrigé, servit finalement d'épreuves à l'édition de 1897, qui sera la première édition "non fautive" de cette nouvelle, comme en témoignent ces corrections autographes capitales.
Sur la page de faux-titre, l'auteur a ajouté le sous-titre "(Conte oriental)".
En première page de texte, il a également ajouté une dédicace "A mon ami Plumkett - Au nom d'Allah très clément et très miséricordieux". Au fil du texte, Loti a corrigé certains passages, rayant des mots et les remplaçant par d'autres, pour finir par modifier fortement la fin du conte en ajoutant un épilogue sarcastique dit "épilogue de Plumkett".
Ces corrections seront adoptées dans l'édition de 1897.
Ces notes manuscrites révèlent la grande contrariété de Loti à la publication de cette édition de 1896 qui, à l'instar des précédentes « éditions séparées » de cette nouvelle, est tronquée de son dialogue entre Loti et Plumkett qui encadrait la nouvelle dans le recueil Fleurs d'ennui. Or, comme l'écrit Loti à son éditeur en 1896 : "l'Epilogue de Plumkett me semble indispensable à maintenir, tel qu'il est dans Fleurs d'ennui ; il le faut absolument, pour expliquer l'incohérence voulue de l'histoire et juger comme elle le mérite cette moralité narquoise. Si on supprime l'Epilogue Plumkett, la moralité demeure simplement idiote".
C'est donc le sens véritable de la nouvelle qui, depuis sa première parution séparée en 1884, est faussé, l'éditeur n'ayant pas compris l'importance du personnage de Plumkett.
Ce second narrateur instaure, en effet, par sa conclusion sarcastique une mise à distance du récit et de sa naïveté apparente. Il contribue à construire ce personnage de "Pierre Loti" que Julien Viaud expose, non comme un pseudonyme, mais comme un véritable personnage-narrateur indépendant qui ne se confond que partiellement avec son modèle à travers ce qu'il nomme lui-même "l'à-peu-près de la légende".
De même, H. Plumkett, qui signe avec Pierre Loti le recueil de nouvelles « Fleurs d'ennui » est à la fois un des personnages principaux de Aziyadé et du mariage de Loti et l'avatar fictif de Lucien Jousselin. Officier de marine et écrivain, il fut un grand ami et le conseiller littéraire de Loti et participa à ses supercheries littéraires comme cette lettre qui devait figurer en tête du premier roman de Loti Aziyadé, rédigée de la main de Jousselin mais adressée de William Brown à Plumkett : « Loti est mort. Loti a quitté la sombre terre où il avait si follement brûlé sa vie... »
Considérant que « si on supprime l'Epilogue Plumkett, la moralité demeure simplement idiote", Loti supprime toutefois ce qui, dans l'épilogue original (in Fleurs d'ennui), était élogieux pour le narrateur.
Ses ajouts manuscrits marquent au contraire son recul face au récit. Loti s'approprie la moralité de ce « conte oriental » en l'introduisant de cette assertion inédite : « Il y a une moralité, Plumkett, que je vais prendre soin de déduire moi-même et de bien mettre sous vos yeux, parce que vous n'êtes pas très fin. » et conclue la nouvelle sur l'acerbe critique de Plumkett devenu dédicataire, avec Allah, du conte : « J'avais parfaitement prévu que votre conte n'aurait ni queue ni tête (...) Je ne vous le reproche pas on écrit comme on peut. Il ne serait pas raisonnable d'exiger que vous missiez de la suite dans vos récits, n'en ayant aucune dans les idées. »
De ce fait, Loti reprochant à son éditeur de « couper dans une oeuvre qui se tient sans avoir pris l'avis de l'auteur » s'approprie l'intervention de Plumkett, non plus comme une présence potache, trace de l'écriture à quatre mains d'un recueil de nouvelles, mais comme une clé de lecture de la nouvelle et avec elle de l'œuvre entière qui la précède.
Ainsi à l'horizon de ce « conte oriental » rapporté par « Pierre Loti » et critiqué par « Plumkett », les modifications manuscrites du véritable auteur révèlent peut-être la présence d'une terra incognita, celle d'un écrivain qui s'invente autant qu'il se raconte : Julien Viaud.
En 1882,le recueil de nouvelles "Fleurs d'ennui. en collaboration avec H. de Plumkett" était introduit par cette "note de l'éditeur" que l'on peut relire à la lumière des corrections manuscrites qui enrichissent notre exemplaire :
« Ceux de nos lecteurs qui ont lu le Mariage de Loti
se rappelleront peut-être le nom de Plumkett, l'ami
et le confident de Loti, le compagnon de ses voyages.
Plumkett, pas plus que Loti, n'est une fiction.
C'est à Plumkett que Loti, soucieux de la valeur
de ses œuvres, soumet en premier lieu le travail
qu'il vient d'achever. Loti a foi dans le jugement
de Plumkett ; mais s'il accepte les critiques de son
ami, et s'y conforme souvent, ce n'est pas toujours
sans résister, sans défendre pied à pied le passage
incriminé. C'est chose curieuse qu'un manuscrit
de Loti révisé par Plumkett ; les observations, les
réflexions, les réponses s'enchevêtrent au hasard
de la dispute littéraire des deux amis, criblant le
texte de notes, le zébrant de lignes noires, rouges
ou bleues, en une saveur d'esprit aussi originale
d'un côté que de l'autre. De cet échange de pensées,
perdues avec les feuillets de la copie, est venue l'idée
d'une collaboration à une œuvre commune ; non
une de ces collaborations où le tempérament de
chacun disparaît dans l'unité de l'ensemble ; Loti
et Plumkett ont voulu conserver leur personnalité,
laisser dans leur ouvrage la marque distinctive
de leur nature. Fleurs d'ennui est donc un livre
double, dans lequel chaque auteur apporte à l'action
son faire particulier, ses idées personnelles et les
tendances instinctives de son individualité »