Édition originale, un des exemplaires du service de presse.
Discrètes restaurations au dos.
Notre exemplaire est présenté sous chemise en demi chagrin havane, plats de papier marron, intérieur de feutrine vert amande et étui bordé de chagrin havane, plats de papier marron et intérieur de feutrine marron.
Nostalgique et émouvant envoi autographe signé d'Antoine de Saint-Exupéry à son amie et amour de jeunesse Renée de Saussine : « Pour Rinette de Saussine. Avec une amitié que tant d'absences et de silence n'ont pas amoindrie. Avec une affection déjà vieille de vingt ans et qui s'ennuie un peu dans son placard aux souvenirs... Afin qu'elle (Rinette, pas l'affection) téléphone à l'éternel Henri, convoque Bertrand, achète une bouteille de Porto, et allumme ??? (deux ou un m), pour fondre les neiges, les feux de joie de l'alcool. Son vieil ami Antoine de Saint-Exupéry."
Elle fut le quatrième mousquetaire de la joyeuse bande estudiantine réunissant son frère Bertrand de Saussine, Antoine de Saint-Exupéry et Henry de Segogne, tous les trois « flottards » comme se nommaient affectueusement les aspirants à l'Ecole Navale. Ensemble ils connurent les plaisirs et les désarrois de la bohème parisienne. Leurs soirées mémorables furent, pour Saint-Exupéry, la première et précieuse expérience de la camaraderie et de la fraternité. Cette jeunesse heureuse et insouciante ne fut brisée que par le départ de Tonio pour Toulouse où allait véritablement commencer sa carrière de pilote et d'écrivain.
Pourtant, si l'éloignement affaiblit la complicité d'Antoine avec Bertrand et Henry, sa relation avec « Rinette » prit une toute nouvelle ampleur. Celle qu'il nommait déjà son « manager littéraire » allait devenir le sujet et la destinataire exclusive d'une correspondance à sens unique qui oscille entre lettres d'amour et confidences littéraires et à laquelle la jeune et insouciante Renée n'a presque jamais répondu mais qu'elle publiera après la disparition de son ami sous le titre lettres de jeunesse puis lettres à une amie inventée enrichi des dessins qu'il joignait à ses missives.
Saint-Exupéry, qui avait déjà subi une cuisante déconvenue amoureuse avec Louise de Vilmorin, fut encore plus affecté par l'apparent désintérêt de Renée. En effet, la vie avec Louise était incompatible avec les choix de Saint-Exupéry et la rupture de leurs fiançailles tint à son refus d'abandonner son rêve d'aviateur. Au contraire, Rinette encourageait l'esprit d'aventure de son ami et contribuait à l'émergence de l'écrivain. De la chrysalide de leur camaraderie émerge au fil des lettres de Saint Exupéry un réel amour dont le poète aviateur sent pourtant qu'il est une cristallisation stendhalienne. Amour inventif pour une amie inventée, Saint-Exupéry, blessé par le silence de Rinette cesse bientôt d'écrire et « quitte Toulouse décidé à la bannir de son esprit. » Ce n'est qu'alors que sa bien-aimée prit enfin la plume pour se plaindre de son soudain silence et solliciter ses lettres qu'elle « aime tant ». Loin d'obtempérer, le soupirant se sent éconduit au profit de son talent et se mure dans le silence pendant plusieurs années, signe, s'il en faut, de la profondeur de son amour blessé. Si ses nombreuses amours à venir panseront les plaies de l'aviateur, Renée de Saussine ne sera jamais oubliée. Et comme l'écrit Marie-Anne Barbéris, bien avant Consuello, la cruelle et fragile rose du Petit Prince « prend sa source dans cet (…) amour malheureux (pour) Renée de Saussine. ». Cette même rose qui, comme Rinette, ne déclare son affection que trop tard : « Mais oui, je t'aime, lui dit la fleur. Tu n'en as rien su, par ma faute. Cela n'a aucune importance. Mais tu as été aussi sot que moi. Tâche d'être heureux… »
Vingt ans après leur première rencontre, cette émouvante et unique dédicace est sans doute la réponse du prince devenu grand à sa rose, dont il ne sut cueillir la jeunesse.