Tapuscrit complet, recto seul, présentant des biffures et quelques corrections autographes à l'encre noire, publié dans le n° 16 (juin 1946) de L'Arche.
« De Lautréamont à Miller » permet à Maurice Blanchot de s'intéresser une nouvelle fois à Lautréamont, figure à laquelle il ne cesse de revenir au cours des années 1940 dans divers textes et dont son ouvrage Lautréamont et Sade (1949) forme assurément le climax.
L'œuvre d'Isidore Ducasse, qui a influencé le jeune Blanchot dès son premier roman Thomas l'Obscur (1941), fascine l'écrivain par son mépris de la psychologie, la prouesse syntaxique dont elle relève et l'expérience créatrice dont elle témoigne. Pour le critique, Lautréamont, comme Beckett, Sade, Restif de la Bretonne ou Cyrano de Bergerac, est un « homme noir » : peu soucieux des valeurs établies, il donne à ses écrits une portée profondément révolutionnaire.
Avec Les Chants de Maldoror, note Blanchot, « nous sommes la proie d'une puissance dévorante, qui nous entraîne dans une suite bouleversante de métamorphoses, dans un temps avide et violent, qui détruit avec l'ivresse et l'exaltation d'une force capable de créer ». Plus encore, l'œuvre, sans cesse en mouvement, se constitue comme un bloc, à l'instar du travail d'Henry Miller : « On ne trouve dans Miller ni une telle violence dans la poursuite ni une telle immobilité dans l'attente. Mais il reste que son œuvre a la même tendance à s'organiser comme un bloc devant nous, tout en nous entraînant dans un torrent verbal, selon le rythme le plus rapide qui puisse s'éprouver. Le temps de l'écrivain est ici extraordinaire. [...] Le langage crée sa durée ; et c'est ce déroulement explosif, cette marche violente, infatigable, cette ivresse qui fait monter du fond d'un texte où les détails ne sont pas exceptionnels ni les idées très importantes, un sens harcelant et accablant, une tension extrême qui, comme chez Lautréamont, n'aboutit qu'à une passivité forcenée. »
Le texte sera repris, légèrement retouché, dans La Part de Feu (1949).