Important ensemble de 51 feuillets au format A4 de tapuscrits et ronéotypes, ainsi que de 12 pages in-8 manuscrites, retraçant en partie la genèse tourmentée de la Revue internationale conduite par Maurice Blanchot entre 1961 et 1963. L'entreprise échouera au cours de cette dernière année, faute d'une union suffisamment forte entre ses différents acteurs. Blanchot en sortira très affecté.
Ce corpus comprend de nombreuses notes personnelles manuscrites et tapuscrites de Blanchot à propos de l'esprit, du contenu et des financements de la revue, la version française tapuscrite de l'article « Locus Solus » traduit en italien par Guido Neri sous le titre « La Conquista dello Spazio », mais également des remarques tapuscrites de Francesco Leonetti, un ronéotype d'une lettre de Iris Murdoch à Mascolo, une lettre de U. W. [?] adressée à Des Forêts, ainsi que d'importants éléments de correspondances entre Blanchot, Des Forêts et Gallimard de l'année 1962.
« Nous approchons d'un mouvement extrême du temps, de ce que j'appellerai un changement de temps. [...] Il faut donc essayer de répondre à cette énigme grave que représente le passage d'un temps à un autre ».
A l'orée des basculements politiques, sociaux et culturels d'après-guerre, c'est en ces termes que Maurice Blanchot perçoit la nécessité d'un engagement collectif du monde intellectuel international. Le dessein est alors d'insuffler, de développer et d'affirmer un mouvement commun de pensée critique se voulant à la fois littéraire et politique en réponse aux « événements radicalement nouveaux de l'Histoire ». (Bident).
Originellement articulée autour de trois principaux comités, français, allemand et italien, la Revue internationale entendait fédérer la nouvelle pensée européenne d'après-guerre comme rempart aux idéologies. Le recours ponctuel à des intellectuels de divers horizons, de la Russie à l'Amérique latine, fut également vivement encouragé par Blanchot. Aux côté de ce dernier, la part française regroupait des personnalités telles que Antelme, Butor, des Forêts, Duras, Leiris, Mascolo, Nadeau et Barthes. En Italie, Calvino, Pasolini, Vittorini pilotèrent le projet. Tandis que du côté germanique, Bachmann, Enzensberger, Grass, Johnson et Walser devaient coordonner le groupe initial.
Dès 1961, la construction du mur de Berlin vint entraver le bon déroulement des coopérations avec le comité allemand. Français et italiens refusèrent de poursuivre l'intention d'une revue purement franco-italienne et attendirent la décision de l'Allemagne. Ainsi qu'en fit part Gaston Gallimard à Louis-René des Forêts dans sa lettre du 16 mai 1962, le dialogue rendu difficile par les événements nuisit considérablement aux négociations éditoriales : « [...] Vous me dites aussi que la situation ne s'est pas modifiée depuis un an, mais j'avais cru comprendre que les difficultés que vous éprouviez du côté allemand vous avaient retardés et que c'était à cause d'elles que vous ne me donniez par les précisions nécessaires à la conclusion d'un accord ».
La sollicitation de Sartre par Blanchot dès l'automne 1960 devait également donner à la Revue une aura publique mobilisatrice annonciatrice du changement : « Si l'on voit Sartre, et d'autres avec lui parmi les 121, décider de s'exprimer en cette forme choisie délibérément comme nouvelle, chacun, et j'entends non seulement les écrivains, le vague public, mais toute la jeunesse intellectuelle, comprendra que vraiment nous entrons dans une nouvelle phase et que quelque chose de décisif a lieu, qui cherche à s'affirmer ». Les supplications de Blanchot, restées vaines, ne parvinrent pas à obtenir l'adhésion de Sartre. L'avenir de la revue s'en trouva ainsi menacé dès son commencement.
Pourtant, dans un inébranlable élan de détermination, la défense d'une vision neuve, forte et audacieuse fut collectivement portée par les instigateurs du projet. A l'instar des arguments avancés par Des Forêts dans la lettre de notre ensemble adressée à Gallimard , en date du 8 mai 1962, la revendication d'une idée originale et novatrice justifiait les efforts de mise en œuvre. Il était alors question d'« [...] une revue toute nouvelle, capable d'exprimer et de tenter d'approfondir les rapports de la responsabilité littéraire et de la responsabilité politique, en même temps que les possibilités d'une commune activité littéraire s'exerçant par le langage et la culture de différents pays. »
Dans les présentes notes tapuscrites relatives à l'organisation de la rédaction, Blanchot redéfinit même profondément la nature du projet : « La revue n'est pas une revue. [...] elle doit représenter, dans la vie intellectuelle, littéraire et politique, une certaine forme de responsabilité, à laquelle doit répondre une affirmation d'autorité qui n'est pas la nôtre, en tant que nous sommes individuellement ou par groupe nous-mêmes, mais qui est anonymement l'autorité correspondant à une certaine exigence impersonnelle, celle de la recherche littéraire et philosophique. » ; « Cette affirmation d'une autorité juste, ce souci d'autorité non autoritaire sera, je crois, le grand devoir de la revue ».
Dans ces mêmes notes, Blanchot détaille l'enjeu de sa rubrique intitulée « Le cours intellectuel des choses » qui fonde ces intentions premières : « [...] Cette chronique revendiquera tout évènement, de quelque sorte qu'il soit (philosophique, poétique, sociologique, scientifique, politique). Constituée de nombreux textes de forme variée et assez courts, elle est destinée à dire le monde tel qu'il s'affirme, s'interroge et se dénonce à travers la conscience collective d'écrivains. » Et l'auteur d'annoter quelques idées destinées à nourrir les réflexions pour le premier numéro à paraître : « La déstalinisation, Boulez et Mallarmé, l'utopie, le mur de Berlin, le rôle de la radio en Allemagne, le cloisonnement culturel en France, en Italie, le cas Eichmann, Heidegger et ses textes politiques de 1933... » Il ajoute, toujours sous forme de note : « Revue sans division entre partie critique et partie anthologique puisque le savoir critique général doit y paraître aussi essentiel que les beaux textes ou textes de lecture et que ceux-ci peuvent y jouer implicitement un rôle critique (mais jamais d'illustration) et vice versa ».
Aussi, la portée politique, au centre de l'engagement collectif, devait débarrasser de toute « plate-forme » idéologique les fondements du nouvel avenir intellectuel de l'Europe. Cependant marqué à gauche, à l'image des convictions de Blanchot au tournant de la décennie 1960, le ronéotype de la lettre de Murdoch à Mascolo soulève l'ambiguïté de cette volonté d'émancipation des discours politiques : « La coloration politique exacte (ou plutôt le particulier manque de coloration politique de la revue !) semble aussi soulever des problèmes. [...] Les gens peuvent demander : « s'agit-il d'une revue simplement socialiste, ou d'une revue marxiste ? ».
Les grands espoirs que Blanchot fondait dans ce projet d'envergure, tout autant que son investissement personnel et affectif, s'en ressentent particulièrement à travers la correspondance entretenue avec Gaston Gallimard. Dans une suite de rebondissements et de changements d'interlocuteur, entre Gallimard et Julliard, les négociations des contrats de publications s'avérèrent en effet « longues, pénibles et tracassières » (Bident), pour finalement s'interrompre définitivement en 1963. La lettre de Blanchot adressée à Gallimard en réponse à celle du 16 mai 1962, démontre toute la foi investie dans cette entreprise : « Pour ma part, [...] non seulement je ne doute pas de sa réalisation dans la mesure où il répond à une exigence qu'on peut dire historique, mais je suis tenté de croire que l'avenir intellectuel peut dépendre de la manière dont il se réalisera. [...] Naturellement, il reste des difficultés d'ordre pratique. Elles ne [me] (rayé) paraissent pas insurmontables ».
« Je voudrais toutefois ajouter une remarque plus personnelle. [...] Nous savons tous que nous allons vers de grands bouleversements, dans tous les ordres : c'est en rapport avec ces changements que le projet de la « revue » a été conçu et doit chercher à s'accomplir. Il est donc important à nos yeux mêmes de savoir si les éditions Gallimard sont prêtes à accueillir ces changements ou au contraire préfèrent s'y dérober en se contentant des facilités brillantes de leur réussite actuelle ».
Les manuscrits et tapuscrits des comptes tenus par Blanchot, relatifs aux droits d'auteurs, au budget de rédaction, de traduction, de secrétariat et de déplacements, sont également de précieux témoignages de cet engagement drastique et total à l'issue fâcheuse, et dont les présents documents en constituent les rares vestiges.
Précieux ensemble qui laisse entrevoir ce qu'aurait pu être cette revue dont l'échec a très profondément affecté Maurice Blanchot.