Édition originale de la traduction anglaise parue 15 jours avant l'édition originale en français. Un des 525 exemplaires numérotés et signés par Antoine de Saint-Exupéry, seuls grands papiers et toute première émission du chef d'œuvre allégorique de Saint-Exupéry, l'œuvre la plus traduite après la Bible.
Reliure de l'éditeur en plein cartonnage toilé brique, dos lisse, exemplaire complet de la jaquette du premier tirage dans le commerce, à la bonne adresse et au prix non découpé, comportant quelques discrètes restaurations.
Ex-libris imprimé en tête de la première garde.
Ouvrage illustré de dessins d'Antoine de Saint-Exupéry.
Conte universel s'il en est, cet hymne au voyage, à l'amitié et à l'enfance fut dès l'origine considéré comme un roman à clefs, offrant, sous couvert d'un récit pour enfants, un regard profond sur l'actualité tragique et révélant chez l'auteur une philosophie plus complexe que ne lui prêtaient alors ses détracteurs.
Si l'on ne sait avec exactitude quelle est la genèse de ce personnage – la lecture d'Andersen par l'actrice Annabella, la boîte d'aquarelle offerte par le réalisateur René Clair, une idée de son éditrice Elisabeth Reynal ou simplement la mémoire de son frère disparu – l'écriture du conte lui-même fut très fortement influencée par la guerre, l'exil et les relations difficiles de Saint-Exupéry avec les autorités de la Résistance.
Démobilisé en 1940, l'écrivain plébiscité en 1939 pour Terre des hommes, se réfugie à New York où il écrit et publie en février 1942 Pilote de guerre, relatant, à l'attention de l'opinion publique américaine, le courage des soldats français malgré l'inéluctable défaite. Trop philosémite pour les uns et trop défaitiste pour les autres, ce récit, rapidement interdit en France, lui vaudra l'inimitié des pétainistes mais également des gaullistes qui le contraignent à l'inaction tandis que l'Afrique du Nord reconquise par les Alliés ouvre des perspectives de reprise du combat armé.
Malgré une vie sentimentale et sociale intense, c'est dans un sentiment de profonde solitude et d'incompréhension que Saint-Exupéry compose, durant l'année 1942, Le Petit Prince pour ses éditeurs new-yorkais qui viennent de publier Mary Poppins, Eugene Reynal & Curtice Hitchcock.
Fin 1942, Saint-Exupéry accentuera encore cette animosité en diffusant à la radio puis en publiant sa Lettre aux Français appelant à l'unité entre les Français de France et les expatriés contre le nazisme. Son incitation à la réconciliation pour une lutte unie et sans concession contre l'ennemi commun, son refus de juger le choix des hommes oppressés et sa critique implicite des luttes de pouvoir entre les combattants, dresse irrémédiablement contre lui les partisans de de Gaulle qui sont alors en rivalité avec ceux du Général Giraud.
Jugé d'une tolérance excessive, ce message radiophonique suscite de très fortes accusations dont celle d'un écrivain cher à Saint-Exupéry, le philosophe et théologien Jacques Maritain. Ces violents anathèmes à l'égard de l'écrivain masquent à ses contemporains la profonde intimité qu'entretiennent pourtant cet appel adressé aux adultes et le conte destiné aux enfants qui paraîtra quelques mois plus tard.
L'exil forcé loin de sa terre « perdue quelque part dans la nuit, tous feux éteints, comme un navire », cette France qu'il faut « sauver […] dans son esprit et dans sa chair », l'absurdité des hommes qui se déchirent, jusque dans le combat commun, et cette double question : « Que vaut l'héritage spirituel s'il n'est plus d'héritiers ? À quoi sert l'héritier si l'Esprit est mort ? » de sa Lettre aux Français sont autant de thèmes développés dans ce qui sera le dernier et le plus important de tous ses livres, Le Petit Prince, « ce petit livre [écrit] seulement pour des amis qui peuvent le comprendre ». Ceux-là ne manqueront pas de lire le conte à la lumière du manifeste et sauront reconnaître dans la sagesse du Renard avertissant le Petit Prince : « le langage est source de malentendu » l'écho presque parfait du combattant s'adressant à ses compatriotes : « le langage est un instrument imparfait ».
Inspiré d'un personnage enfantin que Saint-Exupéry crayonne en marge de ses lettres et carnets et qui était à l'origine un autoportrait, le Petit Prince est tout autant une fable poétique qu'un testament philosophique. En ce sens la mort de l'enfant, héros du conte, qu'au grand dam de ses éditeurs Saint-Exupéry refuse de supprimer, ne saurait être étrangère à l'opiniâtreté de celui-ci à se précipiter vers sa fin héroïque et absurde.
En effet, depuis son arrivée aux États-Unis, Saint-Exupéry n'a qu'une préoccupation, obtenir une affectation dans son ancienne unité, le groupe 2-33 qu'il a immortalisé dans Pilote de guerre. En février 1943, malgré son âge, malgré les inimitiés des gaullistes, malgré sa santé défaillante, Saint-Exupéry est enfin mobilisé dans les Forces aériennes françaises libres formées après la libération de l'Afrique du Nord par les Américains. Début avril, le 12 ou le 13, il embarque pour Alger et ne reverra plus jamais l'Amérique.
C'est alors que le destin de l'ouvrage et celui de son auteur vont définitivement s'éloigner.
Le Petit Prince, qui devait paraître simultanément en français et dans une traduction anglaise réalisée par les éditeurs, est finalement d'abord publié en anglais le 6 avril 1943.
Saint-Exupéry n'aura pu assister qu'à cette publication anglaise avant de quitter définitivement le sol américain n'emportant avec lui qu'un exemplaire d'essai de la future version française. Il ne laissera, sur l'œuvre la plus importante de sa vie, aucune autre trace manuscrite que les 785 feuilles de justifications signées qui seront insérées dans les tirages de luxe anglaises et françaises, et quelques rarissimes dédicaces (on n'en connait aujourd'hui que trois sur The Little Prince et deux sur Le Petit Prince).
Rare et précieux exemplaire en grand papier de cette traduction qui précéda l'originale française de ce qui demeure aujourd'hui encore l'œuvre la plus traduite après la Bible.