Edition originale dont il n'a pas été tiré de grands papiers.
De rares déchirures marginales en tête du premier plat, petits manques en tête et en queue du dos, coin inférieur gauche du second plat manquant, petit accroc en queue du second plat.
Exemplaire enrichi d'un exceptionnel envoi autographe de romancière à poétesse, adressé par Georges de Peyrebrune à Jane Catulle Mendès : "pour mon exquise confrère / pour ma charmante amie / Madame Catulle Mendès / En souvenir / Peyrebrune".
Les éditions originales, et encore davantage les envois de Peyrebrune sont d'une grande rareté : "il est encore très difficile aujourd’hui de trouver des livres de Peyrebrune" (Sophie Ménard).
Peyrebrune publie ce roman d'aventures maritimes fin 1898, peu de temps après fait paraître chez le même éditeur une réédition de son tragique et sanglant Victoire la Rouge. Alors que ce dernier s'achève sur la noyade de son héroïne, Au pied du mât met en scène une personnage féminin qui sauve son amant de la noyade : un choix narratif intéressant qui redonne un peu de puissance aux personnages féminins victimisés dans ses précédents textes. Peyrebrune obtient en 1900 le prix de Montyon de l'Académie française pour la première partie du roman. Le thème sentimental d'Au pied du mât avait sans doute davantage appaisé le jury que ses récits naturalistes critiquant ouvertement la domination des hommes sur les femmes. Par l'inversion du rôle traditionnel du héros masculin sauveur, Peyrebrune y glisse tout de même une pointe de rébellion. Mais malgré les rares récompenses officielles (elle reçoit aussi un prix de l'Académie pour Vers l'Amour en 1897) sa versatilité entre histoires d'amour et de violence sera ultimement mal perçue : "Elle expérimente plusieurs genres, et cette hétérogénéité générique la dessert du point de vue de l’histoire littéraire, puisque celle-ci aime bien penser en école, en mouvement, en esthétique." rappelera Sophie Ménard (entretien avec Robin Duclos et Florence Verreault, revue Fémur).
On avait encore peu exploré son lien avec Mme Jane Catulle Mendès, son « exquise confrère » écrit-t-elle ici dans son envoi sur cet exemplaire. Née Jeanne Mette, Jane Catulle Mendès se marie avec le célèbre poète en 1897, et se fait connaître pour ses poèmes, ses livrets de ballet et ses critiques dramatiques. Au cours de sa carrière, Peyrebrune cultive précieusement ses amitiés parmi ses sœurs d’armes, aussi pour pallier au manque de soutien de ses confrères masculins – Lydia de Haro Hernández décrit ces relations comme
« un vrai réseau d’entraide qui rapprochait ces femmes aux origines, aux convictions et aux situations personnelles parfois assez disparates, mais ayant toutes un point en commun qui devient un lien plus fort que tout autre: leur condition de femmes-de-lettres au milieu d’un monde essentiellement dominé par les hommes. Cette correspondance est parsemée de confidences personnelles, de désillusions propres aux aléas de la vie d’auteur, de mots de réconfort, de demandes d’entremise auprès de tel ou tel éditeur, des contraintes et des injustices qu’elles rencontrent dans leur chemin du fait de leur condition de femmes ».
Rarissime envoi de Peyrebrune sur un des seuls romans récompensés de son vivant.
Peyrebrune, femme de lutte et de lettres
Républicaine et dreyfusarde, « Cette provinciale, qui ne comptait que sur elle-même pour s’introduire dans le monde littéraire parisien, n’étant ni fille, ni femme, ni amante de personne pouvant lui servir d’aval réussit à s’y faire une place considérable par le seul mérite de son travail » (Lydia de Haro Hernández). George de Peyrebrune fait partie intégrante des cercles de femmes de lettres de la Belle Epoque avec qui elle entretient amitiés et correspondance. Elle s'adonne avec détermination au journalisme d'obédience féministe – notamment dans La Fronde de Marguerite Durand, et défend la place des femmes dans les métiers littéraires. Avec Jane Catulle Mendès, elle siège dans le jury exclusivement féminin du prix littéraire de la revue La Vie Heureuse dont elle est contributrice. Aujourd’hui connu sous le nom de Prix Fémina, il se voulait une contre-proposition au prix Goncourt qui excluait les œuvres poétiques, et « vraisemblablement ne sera[it] jamais attribué à une œuvre de femme. Il appartenait à des femmes de supprimer, avec les autres, cette double restriction » (présentation du prix La Vie Heureuse, Hachette, en 1907). Peyrebrune dévoue une grande partie de son œuvre à dépeindre les vicissitudes de la condition féminine – elle-même issue d’une union adultérine (elle reçoit le nom de son hameau natal en Dordogne) et victime d’un mariage malheureux, Peyrebrune fait entendre les voix tues et dénonce les injustices sociales. Ses romans font les portraits tragiques de femmes battues écrasées sous la pression morale de leur temps (Victoire La Rouge), écrivaines dénigrées aux accents autobiographiques (Roman d’un Bas-bleu), mais présentent aussi des accents clairement naturalistes, comme Les Ensevelis sur la catastrophe minière de Chancelade. Malgré son succès, couronné par deux prix de l’Académie française, elle peine à vivre dignement de son œuvre. Le début du siècle marque le déclin de sa notoriété qui finira par plonger l’intégralité de son œuvre dans l’ombre et condamner Peyrebrune à une vieillesse miséreuse. L’histoire littéraire ne permit pas à deux George(s) de compter parmi les classiques. De ces deux écrivaines attachées à leur campagne (périgourdine pour l’une, berrichonne pour l’autre), on refuse l’immortalité à celle qu’on avait surnommée l’ « autre George Sand » et qui nourrissait d’ailleurs une grande admiration pour son aînée.