Manuscrit ottoman du Coran complet, 612 pages rédigées sur papier parchemin à l'encre noire et rouge dans des encadrements (5,1x8,5cm) noirs et bleus rehaussés à l'or, texte entièrement en arabe naskh sur quinze lignes et ponctué de rosettes dorées et polychromes, grandes rosettes enluminées en marge de certains feuillets. L'exemplaire, comme traditionnellement pour les Corans, s'ouvre sur deux feuillets très richement et finement enluminés.Elégante reliure islamique en pleine basane brune à rabat (
mikleb) richement ornée à l'or et à froid, contreplats et gardes de papier vert, toutes tranches marbrées. Reliure très habilement restaurée.
Une restauration presque invisible sur le premier feuillet blanc.
Cet exemplaire, comme l'indique une notice bibliographique laissée par son propriétaire, a été acquis à Constantinople le 7 avril 1929.
L'impression à caractères mobiles ne fit son apparition que tardivement en Turquie où l'on trouve trace de la première imprimerie en 1726 à Constantinople. En dépit de cette arrivée tardive, le manuscrit continua à occuper une place de premier ordre dans l'Empire Ottoman. Prenant le contrepied de l'Occident qui imprima comme premier livre la Bible, le monde islamique considéra que la parole de Dieu ne pouvait se transmettre que par la pratique sacrée de la calligraphie. En outre, les copistes formaient à Constantinople une puissante corporation (déjà plus de 80.000 au XVIIe siècle) désireuse de conserver son statut privilégié et ses revenus.
« [...] les artistes ottomans ne se sont pas contentés de copier les styles d'écriture des autres pays musulmans. Ils ont choisi, épuré et perfectionné leur méthode, selon leurs goût propres, sans altérer les formes essentielles. Alors que sous l'influence de l'Occident, l'architecture, la musique, la peinture et les arts décoratifs ont un peu perdu de leur identité, la calligraphie n'a pas connu de décadence, et ceci pour trois raisons : l'absence en Europe d'un art semblable susceptible de l'influencer ; la transmission de maîtres à élèves par des calligraphes habiles s'inspirant de règles solidement établies ; sa capacité à se renouveler dans le temps. Et si l'on considère quel temps et quels efforts ont été nécessaires aux Ottomans pour se maintenir au plus haut niveau pendant des siècles, on ne peut pas considérer que l'appellation « art de la calligraphie turque » relève du chauvinisme. Dans le monde musulman circule l'expression suivante : « Le Coran a été révélé dans le Hedjaz, lu en Egypte et écrit à Istanbul. » En effet, c'est bien à Istanbul que les Corans sont devenus de vrais chefs-d'œuvre. » (U?ur Derman, Calligraphies ottomanes)
La réalisation du Coran démarre avec le travail du
hattat, le calligraphe, qui rédige le texte à l'aide d'un calame ; il a également la charge d'indiquer à l'encre rouge les
secavend, marques indiquant les arrêts, les pauses et divers autres éléments de récitation. « Traditionnellement, les calligraphes qui copiaient les Corans commençaient [...] à partir du dixième
cüz (fascicule ; il y en a trente, chacun comportant en moyenne vingt pages). Puis ils revenaient à la
Fâtiha (sourate d'ouverture) jusqu'au dixième fascicule. De cette manière, le calligraphe avait surmonté toutes les difficultés qui pouvaient survenir dans les sourates dix à trente, et terminait dans une écriture
nesih parfaite pour les premières pages. » (
ibid.)
Les enluminures turques (
tezhip ou « ce qui est doré ») des Corans ne sont pas seulement esthétiques : elles signalent au lecteur les différentes divisions du texte. Les manuscrits du Coran s'ouvrent tous sur une double page, en principe richement enluminée (
serlevha). Le texte, presque constamment consigné dans un encadrement rehaussé à l'or (
cedvel) et souligné par des lignes noires et colorées, est ponctué de nombreuses rosettes (
duraklar) d'apparence différente délimitant les sourates et fins de versets. En marge se trouvent des
secde gülü, de grandes rosettes enluminées indiquant les prosternations au lecteur.
Très bel exemplaire de ce Coran ottoman réalisé au XIXème siècle, apogée de la calligraphie turque.