Lettre autographe signée de Pierre Loti adressée à Paul Bourget. 38 lignes à l'encre noire sur un feuillet remplié, papier pelure, traces de pliure inhérentes à la mise sous pli de la lettre.
Beau plaidoyer de Pierre Loti adressé à Paul Bourget pour se justifier de son discours de réception à l'Académie française le 7 avril 1892. Il avait tenu alors ces paroles "Le Roman psychologique - je suis vraiment consterné d'avoir à prononcer ce mot pédant - a, lui aussi, de nos jours, mené grand bruit autour de sa personne et décrété, absolument du reste comme le Roman naturaliste, qu'en dehors de lui-même, rien ne valait. Et pourtant, après les remarquables maîtres de cette école, dans quel indigeste pathos sont tombés les médiocres qui les ont suivis !".
Pierre Loti, pour se distinguer du courant naturaliste et psychologique auprès des académiciens, tînt un discours résolument critique contre le pathos caractéristique des écrits de Zola ou de Bourget et tourna même en dérision leurs idées : "Les hommes à théories, - surtout ceux des couches nouvelles qui viennent au monde déjà tout bardés d'érudition, - longuement discutent avec gravité si le roman doit être romanesque ou documentaire, ou psychologique, ou je ne sais quoi encore ; s'il doit se borner au rôle d'amusette pour gens du monde, ou bien s'il lui est permis de soutenir quelque haute thèse de morale ou de philosophie. Je suis forcé d'avouer que la portée un peu profonde de ces discussions m'échappe ; je les trouve même passablement vaines et puériles".
Pourtant dans sa lettre à Paul Bourget, figure de proue du roman psychologique, il se dédie et détourne ses propos : "Mon cher Bourget, je viens de surprendre votre adresse que vous cachez si bien. Depuis ce printemps je voulais vous écrire, depuis que tant d'imbéciles ont prétendu que je vous avais attaqué dans mon discours de réception à l'Académie. Si vous avez pris la peine de lire, vous n'avez pas pu croire cela, n'est-ce pas. Le seul mot qui vous visait était celui de remarquable maître. J'avais traité de pédante l'étiquette psychologique. Vous dans votre récente préface, vous la traitez de pédantesque, ce qui est encore plus accablant, tout en étant plus français. Donc nous sommes d'accord, et je le savais, et nous ne pourrions pas ne pas l'être, et je suis sûr que vous n'avez pas douté de moi."
La nomination de Pierre Loti au treizième fauteuil fut une surprise pour ses contemporains. Selon Goncourt, sa candidature fut au départ une sorte de canular, et Zola raconte que "la première fois que le nom de Loti fut évoqué, les académiciens se roulaient sur les canapés". L'élection, qui constitue pour Loti une magnifique consécration, s'explique pourtant assez bien par la volonté de faire échec à la candidature de Zola qui venait de s'aliéner la bourgeoisie avec la publication de L'Argent. Maupassant et Bourget s'étant récusés, l'auteur d'Aziyadé, fut le premier romancier proches des naturalistes qui put accéder à la coupole. Loti soutiendra ensuite la nomination de Paul Bourget en 1894 ; il en fait d'ailleurs déjà mention dans sa lettre : "Avec mon admiration pour la "Terre promise" je veux vous dire tout mon regret que vous ne vous présentiez pas à l'Académie. Je voudrais tant voter pour vous... et je ne suis pas le seul, allez ! Vous seriez élu d'emblée et vous feriez une bonne action, au point de vue français, en vous présentant car vous empêcheriez ainsi l'élection de quelque nullité ou médiocrité acceptée comme pis-aller. Ludovic Halevy m'a dit que vous aviez donné votre parole à Zola ; mais il vous la rendrait si vous le lui demandiez, et ce serait bien et loyal de sa part. Puisqu'il ne passera pas, il ne peut cependant pas indéfiniment vous barrer le chemin."
Belle et éloquente lettre d'explications de Pierre Loti sur son discours de réception à l'Académie.