Seconde édition en latin sous le titre Epitome, elle est illustrée de 109 cartes : 1 mappemonde, 4 cartes des continents, 7 de l'Asie, 4 de l'Afrique et 93 de l'Europe.
Chaque carte présente, en regard, un texte traitant de l'histoire, des données topographiques et d'anecdotes propres à la région du monde évoquée. Une table alphabétique des cartes se trouve en fin de volume. Notre édition comporte également une préface du graveur et détenteur du privilège Philippe Galle (1537-1612), suivie d'une gravure allégorique mettant en scène la Prudence, la Vérité et l'Omnipotence de Dieu et d'un Discours de la mer par Ortelius.
Reliure de l'époque en plein parchemin souple, dos lisse muet, restes de lacets. Titre à la plume sur la tranche inférieure.
Ex-libris à la plume sur la page de titre et le premier feuillet de texte. Un texte à la plume concernant Calvin, Théodore de Bèze et Ulrich Zwingli au dos du dernier feuillet et sur l'une des dernières gardes.
Exemplaire très frais.
Une infime rousseur en marge basse de la carte n°14. Un infime travail de ver aux feuillets 10 et 11, sans atteinte aux cartes. Une coupure sans manque ni gravité au niveau de la gouttière droite de la carte n°94.
D'abord enlumineur, libraire et vendeur de cartes, Abraham Ortelius (1527-1598), fort de ses connaissances de collectionneur, décida d'entreprendre une carrière de cartographe. Il fut très marqué par sa rencontre en 1554 avec Gérard Mercator (1512-1594), dont il deviendra si proche que ce dernier, préparant lui aussi son célèbre atlas, repoussera sa publication afin de ne pas porter préjudice à son ami dont il estimait grandement les travaux. C'est ainsi que le 20 mai 1570 parut une première version latine de l'ouvrage, imprimée aux frais de l'auteur, chez Gilles Coppens à Anvers.
Le prix de vente de l'atlas était élevé : 30 florins au moment de sa parution ; Max Rooses (1839-1914), conservateur du musée Plantin-Moretus, raconte d'ailleurs que l'atlas d'Ortelius était le livre le plus cher du XVIème siècle. Cependant, ce recueil, ayant demandé plusieurs années d'un travail rigoureux et intense, connut immédiatement un grand succès et devint une référence cartographique près de dix ans avant la parution de l'atlas de Mercator.
Les cartes géographiques circulaient jusqu'alors de manière isolée ou réunies dans des compilations aléatoires et factices. Ortelius fut donc le premier à proposer un ensemble cohérent de cartes aux formats, aux échelles et à l'esthétique uniformes, c'est-à-dire scientifiquement fiables, donnant ainsi naissance au premier atlas encyclopédique moderne. Le format volontairement réduit du recueil permettait une manipulation facile et pratique, utile au scientifique comme à l'amateur : « L'ensemble était conçu pour satisfaire les deux principaux types de lecteurs : l'amateur cultivé et l'homme de métier attentif à la fonctionnalité de la carte. L'espace était géré avec économie pour répondre au pragmatisme du second, tandis que les goûts du premier étaient flattés par une typographie raffinée, par un recours au langage symbolique de l'emblème et par des notices érudites sur l'histoire de lieux et de peuples. Le Theatrum orbis terrarum était donc un livre à la construction rigoureuse qui proposait à tous ses lecteurs la meilleurs façon positive de voir représenté le monde alors connu» (Erika Giuliani, 5 - Mettre en collection des « vues de villes » à la fin de la Renaissance : les Civitates orbis terrarum (1572-1617), in Isabelle Pantin et al., Mise en forme des savoirs à la Renaissance, Armand Colin « Recherches », 2013, p. 103-126).
Erika Giuliani souligne également que cette entreprise fut couronnée de succès car elle rassemblait les meilleurs artisans de l'époque : « Le fait d'être non seulement un enlumineur et un marchand de cartes, mais aussi un collectionneur, ami de Mercator, et membre du cercle de Plantin, lui avait permis de choisir les meilleurs exemplaires, pour constituer ce qui deviendrait un modèle éditorial et un ouvrage de référence inégalé : Ortelius recommandait aux érudits d'avoir le Theatrum dans leur bibliothèque et de le consulter quand ils lisaient la Bible ou des livres d'histoire. » (op. cit.)
Le fait qu'Ortelius fasse appel au talent de l'éditeur Plantin pour publier la version française de son ouvrage n'a rien d'étonnant : ce dernier fut l'une des figures emblématiques de l'essor du livre scientifique illustré à la Renaissance. C'est à ce moment même que les géographes redécouvrirent le travail de Claude Ptolémée (90-168) et mirent la cartographie, non plus au service de la science, mais à celui des conquêtes (recherche et création de nouvelles routes maritimes, perfectionnement des navires...). On assista alors à une totale réévaluation de la conception médiévale du monde, basée sur des mesures astronomiques et terrestres plus précises.
L'atlas d'Ortelius s'inscrit justement dans cette démarche topographique renaissante, respectant toujours le même ordre rigoureux et immuable de la géographie de Claude Ptolémée : Angleterre, Espagne, France, Allemagne, Suisse, Italie, Grèce, Europe centrale et orientale jusqu'à la Russie, Asie et Afrique. Il fallut attendre 1507 et les travaux de Martin Waldseemüller (1470-1520) pour que la carte de l'Amérique voit le jour ; il sera notamment le premier à donner une représentation de l'océan atlantique en entier et ainsi à prolonger considérablement les travaux de Ptolémée. La représentation de Waldseemüller n'était cependant que partielle et se limitait à la côte sud-ouest du continent. Bien plus précise et étendue, la carte d'Ortelius s'inspire de celle de Diego Gutiérrez parue en 1562 et en propose une vision beaucoup plus large, notamment de l'Amérique du Nord. Sur la carte d'Ortelius apparaît entre autres la Nouvelle-France, découverte en 1523 par Giovanni da Verrazzano (1485-1528) qui, missionné par François Ier, fut chargé d'explorer la zone entre la Floride et Terre-Neuve afin de découvrir un accès à l'océan pacifique. L'échelle d'Ortelius est correcte pour certains territoires et surdimensionnée pour d'autres (Terre de Feu, Nouvelle-Guinée, Mexique ainsi que l'Australie et le continent antarctique qui ne font qu'un seul bloc appelé terra australis nondum cognita) qui avaient pourtant, pour la plupart, été atteints depuis les années 1520. Concernant l'Amérique du Nord, sa forme se rapproche grandement de celle que nous lui connaissons aujourd'hui. La toponymie n'étant quasiment pas encore christianisée, elle laisse apparaître de nombreuses appellations amérindiennes (Culia, Tiguex et Tecoantepec...). Le cartographe est aussi le premier à représenter la Basse-Californie comme une péninsule, la côte nord-ouest de l'Amérique étant seulement esquissée au-delà de la Californie. On remarquera en outre que les légendes se focalisent sur les rivières et les littoraux, montrant la méconnaissance des terres intérieures encore inexplorées. On notera également la présence de légendes quelque peu surprenantes, notamment en Patagonie : « Patagonum regio ubi incole sunt gigantes » (soit Région de la Patagonie où les habitants sont géants). D'autres indications du même type précisent les conditions de découverte de certaines terres, le nom d'explorateurs fameux, etc. Dans la zone de l'extrême Nord-américain, l'auteur indique « Ulterius septentrionem versus hec regiones incognite adhuc sunt », c'est-à-dire « Plus au Nord ces régions sont encore inconnues ». Cette indication peut laisser penser qu'Ortelius est prudent et soucieux de n'indiquer sur ses cartes que des lieux explorés. Cependant, on distingue la présence des villes de Quivira et Cibola, deux des mythiques Cités d'Or, placées en Californie d'après le récit du navigateur Francisco Vásquez de Coronado (1510-1554) qui partit à leur recherche en 1541.
L'ouvrage d'Ortelius, emblématique de la Renaissance, est toutefois encore empreint de la tradition folklorique médiévale. Il mêle à la rigueur scientifique des tracés cartographiques, des légendes et des descriptions inspirées de témoignages et récits de voyages parfois mêlés de fantasmes.
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