Moïse TWERSKY
Né en Ukraine vers 1880, Moïse Twersky est le fils d'un rabbin hassidique de la lignée des Zadik, ces "rabbins miraculeux" qui exerçaient une autorité spirituelle et judiciaire sur de vastes communautés juives d'Europe orientale. Son père était le rabbin de Biélo-Tserkow (Schwarzé-Témé) en Ukraine. Considéré comme descendant du roi David, il possédait un trône d'argent et présidait des repas de 250 couverts chaque samedi.
Destiné à cette succession, le jeune Moïse se passionne pour les livres interdits et découvre la science moderne. Il refuse catégoriquement de perpétuer ce qu'il considère désormais comme une exploitation de la crédulité populaire et décide de devenir chimiste. À seize ans, on le marie selon la tradition à une jeune fille de treize ans, fille d'un rabbin roumain. Contre toute attente, il tombe amoureux d'elle, mais la découverte de ses lectures hérétiques provoque sa séparation forcée d'avec sa jeune épouse.
Twersky étudie la chimie à Bruxelles puis émigre aux États-Unis où il connaît une extrême pauvreté, travaillant notamment dans une usine de conserves où le sel des boyaux qu'il manie quotidiennement lui brûle les mains. Les circonstances de son retour en Europe restent obscures.
À Paris, il s'établit comme traducteur de la presse anglaise pour un syndicat de fabricants de sucre, gagnant 600 francs par mois. Il vit dans un petit appartement rue Oudry, près des Gobelins, et mène une existence austère mais libre. Refusant les contraintes d'un emploi mieux rémunéré, il préserve jalousement son indépendance. Il fréquente assidûment le milieu des intellectuels juifs émigrés, discutant de politique et de philosophie.
Dans les années 1910-1920, Twersky fréquente le café Soufflet où il devient l'informateur des frères Tharaud pour leurs romans sur le monde juif d'Europe orientale. Sa connaissance intime des communautés hassidiques leur fournit une documentation exceptionnelle. Paradoxalement, il devient la principale source anonyme des romans antisémites des frères dont le « filon juif » pittoresque et répulsif participera à la banalisation de la haine des juifs en France.
Grâce à Twersky, relatent ses étranges amis, "une table du premier étage du café Soufflet devenait, par une sorte de miracle bien réel, celui-là, un coin d'un village des Carpathes, la mare où s'ébattent les oies, le palais du rabbin, une synagogue à l'heure de la prière, avec ses chants et ses vociférations, le bain rituel". (La double confidence, J. et J. Tharaud)
Lorsqu'il prend conscience de l'usage antisémite qu'ils font de ses témoignages, Twersky rompt avec les frères et collabore ensuite avec l'écrivain André Billy à une trilogie romanesque, L'Épopée de Ménaché Foïgel, publiée sous leurs deux signatures : Le fléau du savoir (1951), Comme Dieu en France et Le lion, l'ours et le serpent. Le titre évoque métaphoriquement la soif de connaissance qui arrache les jeunes juifs à leur monde traditionnel – son propre parcours. Contrairement aux Tharaud, Billy insiste pour que Twersky co-signe l'œuvre, refusant un collaborateur anonyme.
Le jour de l'entrée des Allemands à Paris, en juin 1940, Moïse Twersky met fin à ses jours dans son appartement de la rue Oudry. Il avait confié à André Billy qu'à la vieillesse, il se ferait "sauter la cervelle" – déclaration faite "très simplement et avec un large sourire". Face à l'effondrement et aux persécutions qu'il pressentait, cet homme à "l'intelligence froide et logique" choisit le suicide plutôt que la déchéance. Les circonstances exactes de sa mort varient selon les sources. André Billy annonce un suicide au gardénal, tandis que ses amis Tharaud, dans leurs souvenirs de 1951, lui attribuent une autre mort, d'une ironie douteuse : « l'idée que les persécutions dont l'Allemagne était le théâtre allaient bientôt commencer en France, cette idée-là lui fut insupportable. (…) Moïse Twersky mit fin à ses jours, non pas avec un revolver, mais avec le gaz de la petite cuisine de son appartement. »