Gravure originale in folio, extraite du Voyage dans la Basse et la Haute Egypte de Vivant Denon.
Planche composée de 3 vues ainsi décrites par l'auteur : N° 1. Couvent cophte, près le village de Bénéadi, à l'issue d'une des routes du désert qui conduit de Cosséir au Nil, en passant par la fontaine de la Kittah. Ce couvent, fortifié d'une circonvallation, détruit et remplacé par des tombeaux musulmans, nous servit de logement pendant que nous cherchions à bloquer les beys et leurs Mamelouks dans le désert : cette vue, qui n'offre que quelques lignes, peut cependant donner l'idée de la tristesse et de l'isolement d'une telle habitation ; l'intérieur étoit spacieux et commode pour la circonstance où nous nous trouvions ; de grandes cours logeoient les troupes, que de simples avant-postes et quelques védettes laissoient en sûreté, attendu que le plus petit objet se distinguoit à un grand éloignement ; l'état-major y étoit assez commodément logé, quoiqu'à travers les tombeaux et les chauves-souris, dont nous avions troublé le repos et le silence. On peut prendre une idée de l'intérieur de ce monument dans la planche LXXIX. Les groupes de figures autour du retranchement représentent la cavalerie campée sous les murailles, la garde du camp, les postes avancés ; sur le troisieme plan, à gauche, un petit corps en marche pour faire une reconnoissance ; tout-à-fait au fond, un cavalier en sentinelle, que l'on voit d'une lieue ; un ciel sans vapeurs, qui arde sur un terrain aride, et pas un signe de vie sur tout l'horizon. N° 2. Vue de Nagadi, qui peut donner une idée des villages situés dans le désert, puisque celui-là, par sa position, est un des plus grands et des plus riches, étant sur le passage des caravanes, à un débouché d'une des routes de Cosséir au Nil, et par conséquent de la Mekke en Egypte ; il contient nombre d'habitants riches faisant le commerce d'entrepôts et de fournisseurs de chameaux aux caravanes qui font perpétuellement la traversée ; il y a des moments où l'on trouveroit à louer mille à douze cents chameaux à Nagadi ; et cependant ce commerce actif ne change rien à l'aspect silencieux de ce village ; les maisons et le sol de la même couleur ; le village disparoît dès que le soleil perpendiculaire ne laisse plus de projection à l'ombre ; quelques puits et des citernes décident du choix de l'emplacement de ces sortes de villages : l'eau à délayer la terre, dont on bâtit les maisons, est une des matieres les plus précieuses qui soient employées à leur construction : le peu de femmes qu'on y apperçoit accroupies aux angles des murailles, quoique voilées, disparoissoient comme des lapins dès que quelqu'un de nous arrivoit inopinément ; elles se précipitoient dans les trous qui servent de portes aux tanieres qui les recelent : chaque dôme sont autant de magasins à déposer les marchandises apportées de la mer Rouge à travers le désert; les petits monuments qui ont l'air de vases ou cuvettes sont des especes de tables concaves qui sont autant de bassins dans lesquels on fait manger les chameaux ; chaque maison est un enclos isolé, et les espaces entre chaque enclos sont les rues, dans lesquelles on se perdroit, si l'on ne voyoit toujours par-dessus les maisons: pour donner l'échelle de leur hauteur il suffit de dire qu'on voit presque toujours par-dessus le toit la tête du chameau qui est accroupi dans la cour ; le paysage qui environne le village est aussi gai que celui que j'ai décrit n° 1 ; on ne voit pas clair, et l'on étouffe lorsqu'on est dans les maisons ; on ne voit rien, et l'on grille lorsque l'on en est dehors.N° 3. Ruines d'un couvent sur la rive gauche du Nil, vis-à-vis Syene, à une lieue dans le désert, dans une vallée silencieuse, dont aucune description, aucun tableau, ne peut peindre la mélancolie. J'ai rassemblé sur la même planche tout ce que l'Egypte offre de plus triste et de plus funeste (voyez le journal, tome II,pag. 99).
Légères rousseurs principalement marginales, infime trace de pliure angulaire, sinon bel état de conservation.
Publié pour la première fois en deux volumes, dont un atlas de gravures, chez Didot, en 1802, le 'Voyage dans la Basse et la Haute Égypte' connut un tel succès qu'il fut traduit dès 1803 en Anglais et en Allemand, puis quelques années plus tard en Hollandais et en Italien, notamment. Presque toutes les planches sont dessinées par Denon, qui en a aussi gravé lui-même un petit nombre, notamment des portraits d'habitants d'Egypte, qui ont encore gardée toute la fraîcheur d'esquisses prises sur le vif (nos 104-111). Une bonne vingtaine de graveurs ont également collaboré à la création des eaux-fortes dont Baltard, Galien, Réville et d'autres.
Dominique Vivant, baron Denon, dit Vivant Denon, né à Givry le 4 janvier 1747 et mort à Paris le 27 avril 1825, est un graveur, écrivain, diplomate et administrateur français. A l'invitation de Bonaparte, il se joint à l'expédition d'Egypte en embarquant dès le 14 mai 1798 sur la frégate " La Junon ". Protégé par les troupes françaises, il a l'opportunité de parcourir le pays dans tous les sens, afin de rassembler le matériau qui servit de base à son travail artistique et littéraire le plus important. Il accompagne en particulier le général Desaix en Haute Egypte, dont il rapporte de très nombreux croquis, lavis à l'encre et autres dessins à la plume, à la pierre noire, ou à la sanguine. Il dessine sans relâche, le plus souvent sur son genou, debout ou même à cheval, et parfois jusque sous le feu de l'ennemi. A l'issue d'un voyage de 13 mois durant lesquels il dessine plusieurs milliers de croquis, Vivant Denon rentre en France avec Bonaparte, et devient le premier artiste à publier le récit de cette expédition. Les 141 planches qui accompagnent son Journal retracent l'ensemble de son voyage, depuis les côtes de la Corse jusqu'aux monuments pharaoniques de la Haute Egypte. Bonaparte le nomme ensuite directeur général du musée central de la République, qui devient le musée Napoléon, puis le musée royal du Louvre et administrateur des arts. En 1805, Vivant Denon relance le projet de la colonne Vendôme, qui avait été suspendu en 1803. Il organise ensuite des expéditions dans toute l'Europe impériale pour amasser les objets d'art, qui sont pillés pour être emportés au Louvre. En 1814, Louis XVIII le confirme à la tête du Louvre, dont une aile porte encore son nom aujourd'hui. Il est considéré comme un grand précurseur de la muséologie, de l'histoire de l'art et de l'égyptologie.