Edition originale, illustrée de dessins in et hors-texte en noir et blanc et en couleurs d'Albert Robida.
Cartonnage historié de l'éditeur en pleine percaline verte signé A. Lenègre et Cie, dos lisse muet présentant d'infimes frottements aux coiffes, premier plat illustré d'un dessin bichrome rehaussé à l'or de Souze, garde et contreplats de papier rose illustré de scènes sous-marines futuristes, toutes tranches rouges.
Ex-libris de la bibliothèque d'Yves Guermont encollé sur le premier contreplat.
Cet album forme l'un des trois volets de l'œuvre d'anticipation de Robida, avec Le Vingtième Siècle et La Vie électrique. C'est l'un des plus rares de l'artiste.
C'est dans le contexte fortement marqué d'« électromania » des années 1880-1890 qu'Albert Robida fait paraître sa série d'anticipation constituée de trois volumes, Le Vingtième Siècle (1883), La Guerre au vingtième siècle (1887) et La Vie électrique (1892). Les expositions universelles et industrielles - notamment celle de 1881 qui inaugure l'ère de l'électricité - fleurissent alors dans des métropoles en pleine mutation, véritables emblèmes d'un monde utopique rendu meilleur par l'apparition de nouvelles technologies. Robida, qui a participé à la fondation de la revue La Caricature en 1880 et est déjà bien établi en tant que dessinateur, prend la plume avec l'idée de rédiger une dystopie exagérant les travers de son époque en les caricaturant par l'extrapolation temporelle. Il situe l'action de ses romans dans les années 1950 à 1970 devenant ainsi l'un des tous premiers maîtres du genre anticipatif.
« Robida a su le premier montrer un avenir où toutes les innovations techniques, aussi folles aient-elles pu apparaître à ses contemporains, sont parfaitement intégrées, et utilisées par tout le monde, naturelles en un mot, bref, une civilisation future. Sans avoir les connaissances et les aides scientifiques de Verne, en se fiant à sa fantaisie et à son intuition, il est le seul de tous les anticipateurs du 19ème siècle et du début du 20ème à avoir présenté par avance un tableau de notre présent qui ne soit pas trop éloigné de la réalité que nous vivons aujourd'hui...» (Pierre Versins, « Albert Robida » in Encyclopédie de l'utopie des voyages extraordinaires et de la science-fiction, 1972)
Le voyage dans le temps dans lequel Robida entraîne son lecteur met l'accent sur les nombreuses avancées rendues possibles grâce aux progrès scientifiques et notamment l'invention de l'électricité. L'écrivain-dessinateur donne vie à une profusion d'engins de transport civil et militaire : aéronefs, tubes (trains à très grande vitesse pouvant aller jusqu'à 1400km/h), paquebots sous-marins, tanks, scaphandriers torpilleurs, etc. Il insiste tout particulièrement sur les télécommunications et invente le « téléphonoscope » à la fois ancêtre de Skype et des chaînes d'informations en continu. Robida demeure critique face à cette émergence des moyens de communication qui deviennent bien vite omniprésents et virtualisent les relations humaines : « Les jeunes gens se font la cour grâce au téléphonoscope après s'être connus par agence matrimoniale. » (Dominique Lacaze « Albert Robida maître de l'anticipation » in Revue des Deux Mondes, juillet-août 2015).
L'émergence massive de nouvelles technologies favorise les échanges commerciaux et financier mondiaux ; le pouvoir économique surpasse le pouvoir politique et ces nouvelles relations font inévitablement naître de nouveaux motifs de guerres.
La part belle est également faite au thème de la nature et au contrôle des climats et des saisons : « Les rôles sont renversés, c'est à la Nature domptée aujourd'hui de se plier sous la volonté réfléchie de l'homme, qui sait la modifier à sa guise, suivant les nécessités, l'éternel roulement des saisons et, selon les besoins divers des contrées, donner à chaque région ce qu'elle demande, la portion de chaleur qu'il lui faut, la part de fraîcheur après laquelle elle soupire ou les ondées rafraîchissantes réclamées par un sol trop desséché ! L'homme ne veut plus grelotter sans nécessité ou cuire dans son jus inutilement. » (La Vie électrique). L'industrie alimentaire est, quant à elle, totalement repensée : les produits naturels - qui étaient tout de même acheminés aux habitants par les canalisations ! - sont remplacés par de la chimie pour produire des aliments synthétiques, voire des alicaments.
Conscient des effets dévastateurs de l'expansion des villes et du développement du tourisme de masse, Robida comprend d'ores et déjà la nécessité de créer des zones vierges, épargnées de toute technologie : « « Une loi d'intérêt social » a créé le parc national d'Armorique, formé des départements du Finistère et du Morbihan, qui doit rester à l'abri du progrès technique. Ici pas de téléphonoscope, pas de tube, ni même d'aérochalet. On circule en diligence et les touristes sont hébergés dans des auberges d'allure moyenâgeuse. Le parc est destiné à la préservation de la nature et surtout à la régénération des « surmenés de la vie électrique » qui viennent y faire des séjours réparateurs. » (Dominique Lacaze).
Loin de ne se concentrer que sur les modernisations matérielles, Robida s'intéresse également aux aspects sociaux du progressisme. Non seulement il déclare la peine de mort abolie depuis le début du XXème siècle, mais il bannit également les prisons et les remplace par des maisons de retraite dans lesquelles les pensionnaires se réadaptent en douceur en s'adonnant à la pêche à la ligne, au jardinage et au billard. Le peuple a l'opportunité de d'exprimer lors des « vacances décennales », manifestations protestataires ayant lieu lors du changement gouvernemental, servant d'exutoire à la population et s'achevant par un grand banquet républicain : « La révolution régulière est une soupape de sécurité qui supprime tout danger d'explosion...C'est une révolution sage, une révolution de santé pour ainsi dire ! » (Le Vingtième Siècle).
Mais la plus grande révolution chez Robida, est sans aucun doute son souci de l'émancipation féminine ; les femmes ont accès à des domaines professionnels qui leur sont fermés au moment de l'écriture des romans : la banque, la Bourse, la recherche scientifique et même l'armée, avec des bataillons féminins combattants. Elles jouissent du droit de vote et peuvent désormais occuper des postes politiques importants, notamment accéder à la députation. Un « parti radical féminin » est même créé dans Le Vingtième Siècle : « Le parti féminin entend [...] couvrir seulement de ses éloges ceux qui, bravant d'antiques et vermoulus préjugés, ont pour conséquence de lever l'interdit séculaire jeté politiquement sur la femme ! »
Les exemplaires en cartonnages d'éditeur historiés sont rares et recherchés.