Eugène DELACROIX & Jean-François VILLAIN (Lithographe)
(William SHAKESPEARE)
Hamlet. Treize sujets dessinés par Eug. Delacroix
Chez Gihaut frères, Edit. Boulevard des Italiens, 5, Paris s.d. (1843), 36,4x49,8cm, relié.
Suite complète de 13 lithographies originales d'Eugène Delacroix, en premier tirage avec la lettre, un des 20 exemplaires sur papier Chine appliqué sur vélin :
« Il en a été tiré à l'origine quelques épreuves sur chine dont le format dépasse le trait carré d'un à deux centimètres. Elles sont très recherchées quoiqu'elles portent la lettre » (Robaut).
Reliure de l'éditeur en demi-chagrin marron, titre estampé à l'or sur le premier plat, couverture conservée. Petite déchirure restaurée dans la marge de la couverture sur 5 cm, dos insolé, mors et coins frottés, rousseurs éparses et une mouillure en partie inférieure affectant le vélin sur lequel les lithographies sont contrecollées, sans atteinte aux lithographies.
Exceptionnel et rare ensemble de lithographies originales d'Eugène Delacroix tirées sur papier Chine, illustrant le chef-d'œuvre de Shakespeare.
Sommet de l'art romantique, cette suite a "été faite pour le compte personnel de M. Delacroix. Le tirage ne comportait que 80 exemplaires, dont 60 sur blanc et 20 sur chine, lesquels étaient épuisés au décès de l'auteur" (Henri Béraldi).Il s'agit du deuxième portfolio lithographique de Delacroix d'après une œuvre littéraire, après le Faust de Goethe en 1828. Fortement influencé par les Caprices de Goya, les planches arborent des noirs profonds et de saisissants contrastes, magnifiés par le tirage sur papier Chine :
"Personne aussi ne méconnaît l'importance du rôle joué par Delacroix dans la lithographie, [...] dans l'Hamlet, dans le Cheval terrassé par un tigre, ou mieux encore dans le Lion de l'Atlas et le Tigre royal, ces merveilles, il montre ce que le crayon lithographique peut acquérir de vigueur et de couleur dans la main d'un maître" (Henri Béraldi).
Malgré les bons commentaires de Théophile Gautier et de Jules Janin, la suite d'Hamlet est demeurée confidentielle dès sa publication à l'initiative de Delacroix chez les frères Gihaut : « Je les avais fait tirer à un petit nombre et bien m'en avait pris car ils n'ont pas eu de succès et son loin de m'avoir indemnisé des frais de tirage » écrira Delacroix dans une lettre à Champfleury (1er mai [1852]). Même au XIXe siècle, les exemplaires sur Chine sont presque impossibles à trouver : seulement vingt ans après la parution, Philippe Burty considérait la suite, tous tirages confondus « si rare désormais » ! (vente colonel De La Combe, 1863).
Sa contribution à l'imaginaire visuel et l'iconographie d'Hamlet est immense. C'est en effet Delacroix qui inaugure ici l'image d'Ophelia morte, à l'horizontal, sur l'eau – préfigurant le célèbre tableau préraphaélite de John Everett Millais. C'est même à partir des lithographies qu'un nombre de ses peintures est né : « Entre les années 1830 et sa mort, Delacroix a également peint des versions à l'huile d'un certain nombre de lithographies [dont Hamlet et sa mère, aujourd'hui au Metropolitan Museum].... » (Alan R. Young, Hamlet and the Visual Arts, 1709-1900).
L'intérêt de Delacroix pour le théâtre de Shakespeare – et tout spécialement Hamlet – s'est manifesté très tôt, comme en témoignent certaines de ses lettres signées "Yorick", où il dévoile en 1817 ses premières passions pour la jeune anglaise Elizabeth Salter. Il lut probablement la pièce en anglais dans le texte (si l'on en croit son Journal, étudié par Luciana Lourenço Paes) et se reconnut dans le protagoniste principal, qui lui inspirera un « Autoportrait en Hamlet », aujourd'hui au musée Delacroix. En 1825, il fit un voyage à Londres où il assista à plusieurs pièces du barde, et regretta d'avoir manqué le Hamlet interprété par le légendaire Henry Keane au Drury Lane Theater.
Deux ans plus tard, Delacroix tomba sous le charme, avec le Tout-Paris romantique, du Hamlet joué au théâtre de l'Odéon par la troupe anglaise de Charles Kemble, directeur de Covent Garden. C'était la première fois qu'on jouait Shakespeare dans sa langue originale, avec les scènes auparavant censurées : l'apparition du fantôme dans le premier acte, la folie d'Ophelia dans le quatrième, et les fossoyeurs dans le dernier acte. À la suite de cette historique représentation, il est hanté, comme Victor Hugo, Alfred de Vigny et Alexandre Dumas, par les fantômes intérieurs de cet anti-héro. L'interprétation de Delacroix dans cette série de lithographies fait partie des plus belles créations de cette nouvelle vague de jeunes romantiques : « Deux temps se font face, deux styles artistiques aussi, où l'imaginaire médiéval vient nourrir le nouveau visage romantique. En ce sens, les gravures de Delacroix peuvent être lues comme un programme esthétique, où le nouvel art, incarné par Hamlet, son alter ego, fait face aux arts du passé » (Sylvie Arlaud, La représentation du spectre de Hamlet sur les scènes germanophones du XVIIIe au XIXe siècle).
Une interprétation délicate et passionnée du tragique anglais, considérée à bon droit comme l'une des plus belles réalisations d'Eugène Delacroix. Ces épreuves sont « autant de dessins originaux où l'on retrouve dans toute leur saveur juvénile sa personnalité, sa verve et sa poésie » (Philippe Burty, Catalogue de la vente Delacroix, 1864).
30 000 €
Réf : 87676
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