Guy de MAUPASSANT & (Ivan TOURGUENIEV (ou TOURGUENEFF))
Rarissime poème autographe inédit signé à Ivan Tourgueniev
s.l. s.d. (janvier-août 1883), 18,1x23,1cm, deux pages sur un feuillet.
| « Sur le sable d'or, blonde et toute nue
Elle va traînant son corps souple et lent » |
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Lettre autographe contenant un poème signé de Guy de Maupassant adressé à l'écrivain russe Ivan Tourgueniev. Deux pages à l'encre noire sur un feuillet, trois vers biffés et réécrits.
Plis transversaux, tampon sec de la collection Viardot en partie supérieure et inférieure du feuillet. Petite déchirure restaurée, en marge le long du pli.
Seuls les quatre premiers vers ont été publiés dans ses Œuvres poétiques complètes (dir. Emmanuel Vincent), Publications de l'Université de Rouen, 2001, p. 245.
Rarissime poème presque entièrement inédit, de la main de Maupassant qui compose ces vers à la demande de son grand ami et mentor Ivan Tourgueniev.
Portant le cachet de la collection Viardot, cette œuvre à l'allure érotique a sans doute été offerte par le destinataire à Pauline Viardot qui, selon Maupassant, a vécu « le plus bel amour du XIXe siècle » avec Tourgueniev.
Désormais sans maître après la disparition de Flaubert, qui avait accompagné la publication de son unique recueil de poèmes, Maupassant soumet ses vers à une autre figure tutélaire, un « cher maître et ami » très proche de l'ermite de Croisset. L'écrivain russe lui avait commandé cette pièce et l'avait chargé de passer la commission à d'autres : « J'ai eu grand peine à venir à bout de votre affaire, les poëtes de ma connaissance n'ayant rien voulu exécuter sur un sujet donné » écrit-il avant le poème. On ne sait quel sujet précisément avait demandé Tourgueniev, qui veillait sur les intérêts de ses amis écrivains français et les faisaient publier en Russie – il négocia, peu de temps sans doute avant cette lettre, la publication russe d'Une Vie qu'il considérait comme un chef d'œuvre, et ira même jusqu'à payer en secret la somme due à Maupassant, lorsque l'affaire fut finalement abandonnée par l'éditeur. A l'écriture de ces vers, ils sont tous deux affaiblis par la maladie : Maupassant souffre de ses yeux (« c'est même à tâtons que je trace ces lignes car je n'ai aucun soulagement. Les oculistes n'y comprennent rien » écrit-il), Tourgueniev d'un mal mystérieux qui s'avérera être un cancer. On l'opère d'une tumeur le 14 janvier 1883, à laquelle fait allusion Maupassant dans la lettre en post scriptum : « et votre opération ? ». Après de longs mois d'agonie, Tourgueniev s'éteindra le 3 septembre dans sa datcha de Bougival, peu de jours après la visite de Maupassant à son chevet.
Le génie prosateur noircit la page de rimes, et conte les ébats d'une ondine au bord du rivage, surprise par un couple qui lui fait regretter sa solitude. Le poème compte trente-six vers en déca syllabes, les trois derniers abondamment biffés et corrigés :
« La nappe des mers tout à coup frissonne
Et la jeune Ondine émergeant des eaux
Regarde au rivage et ne voit personne
Ni sur le côteau ni dans les roseaux.
Sur le sable d'or, blonde et toute nue
Elle va traînant son corps souple et lent [...] »
Le canon maupassantien s'incarne plus souvent dans la nouvelle ou le roman, qu'en poésie – il aura pourtant consacré dix ans à ce genre qu'il aurait pu révolutionner, selon Zola, s'il ne s'était définitivement tourné vers la prose. Malgré l'abondance de vers du manuscrit, il s'agit en réalité d'un poème inachevé, dont Maupassant promet la fin après l'avis de Tourgueniev : « je me hâterai de terminer la chose si vous trouvez ce début dans le ton et dans la forme qu'il vous faut ». Il livre ici une superbe création versifiée, qui évoque une scène de La Petite Roque écrite quelques temps plus tard. Selon Emmanuel Vincent, Maupassant aurait emprunté au folklore russe – et à Pouchkine, que son correspondant admirait plus que tout – la figure de la Roussalka, un esprit des eaux : « Peut-on pour autant conclure qu'en raison de son goût prononcé pour cet auteur, Tourgueneff ait demandé à Maupassant d'écrire un texte dans le style de Pouchkine ? La collation des deux textes qu'il a consacrés à la Roussalka et de l'extrait publié dans notre édition [seulement les quatre premiers vers du poème] montre que si adaptation par Maupassant il y eut, elle s'est avérée très libre. Il est aussi possible que Tourgueneff ait simplement proposé à Maupassant de revoir et de mettre en vers une traduction littérale de la « Roussalka », que l'écrivain russe avait lui-même assurée, pour la publier en France. »
Sublime et pénultième offrande poétique de Maupassant au géant à la crinière blanche, qui disparaîtra avant de publier ces vers.
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