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Victor SEGALEN & [Paul GAUGUIN] Lettre autographe signée adressée à Emile Mignard : "Gros succès avec mon déballage Gauguin."

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Victor SEGALEN & [Paul GAUGUIN]

Lettre autographe signée adressée à Emile Mignard : "Gros succès avec mon déballage Gauguin."

Paris 18 mars 1905, 13,1x20,9cm, 3 pages sur un double feuillet.


Lettre autographe signée de Victor Segalen adressée à Emile Mignard, trois pages rédigées à l'encre noire sur un double feuillet de papier quadrillé. 
Pliures transversales inhérentes à l'envoi.
Une des très rares lettres relatant le rocambolesque sauvetage des oeuvres de Gauguin par son "champion".

Emile Mignard (1878-1966), lui aussi médecin et brestois, fut l'un des plus proches amis de jeunesse de Segalen qu'il rencontra au collège des Jésuites Notre-Dame-de-Bon-Secours, à Brest. L'écrivain entretint avec ce camarade une correspondance foisonnante et très suivie dans laquelle il décrivit avec humour et intimité son quotidien aux quatre coins du globe. C'est au mariage de Mignard, le 15 février 1905, que Segalen fit la connaissance de son épouse, Yvonne Hébert.
Segalen a quitté Tahiti, après avoir transité par Colombo, Port Saïd et Toulon, il est à Paris pour quelques jours et raconte à son ami les réactions face aux œuvres de Gauguin qu'il a fait revenir de Polynésie.
La vente aux enchères des biens et des œuvres de Gauguin, demeurés dans sa Maison du Jouir après sa mort, se déroula à l'automne 1903. L'un des rares acquéreurs présents lors de cette liquidation fut Victor Segalen qui permit ainsi le sauvetage de plusieurs pièces capitales du peintre qui risquaient d'être détruites dans l'indifférence générale. Segalen, qui avait espéré arriver à temps pour rencontrer Gauguin, ravive sa mémoire en tentant – malgré sa faible solde – d'acquérir un maximum d'œuvres de son défunt mentor. Il relate dans son « Hommage à Gauguin » (préface des Lettres de Paul Gauguin à Georges-Daniel de Monfreid, 1918) cette dispersion aujourd'hui incroyable : « Puis s'accomplit la vente judiciaire, sous les formes les plus légales, les plus sordides. On liquida sur place les objets « utiles », vêtements, batterie de cuisine, conserves et vins. Une autre adjudication eut lieu à Papéété, et comprenait quelques toiles, deux albums, l'image de Satan et de la concubine Thérèse, le fronton et les panneaux de la Maison du Jouir, la canne du peintre, sa palette. Pour acquéreurs : des marchands et des fonctionnaires ; quelques officiers de marine ; le Gouverneur régnant à cette époque ; des badauds, un professeur de peinture sans élèves devenu écrivain public. […] La palette m'échut pour quarante sous. J'acquis au hasard de la criée tout ce que je pus saisir au vol. Une toile [Village breton sous la neige], présentée à l'envers par le commissaire-priseur qui l'appelait « Chutes du Niagara » obtint un succès de grand rire. Elle devint ma propriété pour la somme de sept francs. Quant aux bois – fronton et métopes de la Maison du Jouir, personne ne surmonta ma mise de…cent sous ! Et ils restèrent à moi. […] Les bois de la Maison du Jouir, je les destinai dès lors, à l'autre extrémité du monde, à ce manoir breton que Saint-Pol-Roux se bâtissait, lui aussi, comme demeure irrévocable, dominant la baie du Toulinguet, sur la presqu'île atlantique. La palette, je ne pus décemment en faire mieux hommage qu'au seul digne de la tenir, – non pas entre ses doigts, comme une relique dont on expertise avec foi l'origine, – mais passant dans l'ovale au double biseau le pouce qui porte et présente le chant des couleurs, …à Georges Daniel de Monfreid. […] Cette toile [Village breton sous la neige], je l'ai gardée. Le don même en serait injurieux. Gauguin mourut en la peignant, c'est un legs. » La biographie de Gauguin par David Haziot, dresse l'inventaire précis des œuvres achetées par Segalen : « Segalen put acquérir sept toiles sur dix. Parmi elles l'autoportrait Près du Golgotha [aujourd'hui au musée d'art de Saõ Paulo]. Les sculptures Père Paillard et Thérèse partirent, ainsi qu'une seconde version des trois femmes au bord de la mer dont une allaitant à leurs pieds. […] Segalen […] emporta le carnet de dessins d'Auckland, quatre des cinq panneaux de bois qui ornaient la porte de la Maison du Jouir (pour 100 sous !), les photographies d'Arosa avec notamment les images de Borobudur et du Parthénon, et le Village breton sous la neige peint après la catastrophe de Concarneau et que Gauguin avait emporté avec lui. »
Ces œuvres, parmi les plus célèbres de notre patrimoine artistique, sont aujourd'hui conservées au Musée d'Orsay (Paris) et dans d'autres grandes institutions mondiales.
« Gros succès avec mon déballage Gauguin. Certains qui ricanaient à Tahiti s'interloqueront du seul argument qui vaille pour eux : la valeur commerciale. Elle est importante. Néanmoins je compte tout ramener, y compris surtout le Sandwich que nous avons pieusement décollé et qui donne, dans l'œuvre complète, une admirable note. Formule générale : Gauguin ne fut pas « peintre » mais Décorateur. »
Le « Sandwich » dont il est ici question semble être Près du Golgotha, autoportrait de Gauguin qui, en très mauvais état, avait été contrecollé (en sandwich donc) pour le protéger durant le transport de Tahiti vers la France.
Ce bref séjour à Paris est enfin l'occasion pour Segalen de rencontrer Georges-Daniel de Monfreid avec lequel il a correspondu depuis Tahiti. C'est probablement lui qui fait prendre conscience au jeune docteur de la valeur des œuvres rapportées de Polynésie, comme en témoigne une lettre de Segalen écrite à sa mère le même jour que la nôtre : « Il se peut que je retire d'importants avantages pécuniaires de mon déballage Gauguin. […] Je ne perds pas une minute, aidé par un vieux peintre [G.-D. de Monfreid, 49 ans !], disciple de Gauguin, et avec lequel je cours les musées. » Le « vieux peintre » note d'ailleurs dans ses Carnets à la date du 16 mars 1905 : « Visite du Dr Segalen qui nous a prévenus par télégramme le matin. Il arrive très ponctuellement à 11h1/2 et déjeune avec nous. Ensuite, il m'emmène chez lui où il me fait voir ce qu'il rapporte. Enfin, nous portons rue Guénégaud, chez Tisserand, la toile (portrait de Gauguin) [Le fameux « Sandwich »] la plus abîmée, et je le quitte à 5h au Luxembourg. »
Segalen ne perd pas de temps à Paris et entreprend un véritable marathon culturel : « Entendu : Chez [André] Antoine : Les Avariés. Deux actes très scéniques suivis d'un troisième plutôt conférentiel et assommant. Hier au Gymnase : Le Retour de Jérusalem, et une admirable silhouette de Juive qui serait froidement nietzschéenne. Ce soir, « notre » Lohengrin, demain Tannhauser. Je ne crois pouvoir terminer mes explorations diverses avant Mardi et Mercredi. Ne pas m'attendre avant Jeudi. » Il en profite également pour visiter la rédaction du Mercure de France dans lequel il a publié en juin 1904 un intéressant article intitulé « Gauguin dans son dernier décor » : « J'ai déjà liquidé la série « Mercurielle » : de Gourmont, toujours aimable mais empâté et, de symboliste devenu « biologiste » enragé. Ce que Morache en jubilerait ! Vu [Alfred] Vallette, « mon » directeur qui m'a réclamé des études. Promis. Donc, placements assurés, et puis, ça m'est égal, j'écris pour écrire et pour quelques amis. »

Exceptionnelle et rarissime lettre de Victor Segalen évoquant le rapatriement et la révélation à Monfreid et quelques initiés, des dernières oeuvres de Gauguin.



 

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