Victor SEGALEN
Double lettre autographe signée adressée à Emile Mignard et agrémentée d'un petit dessin représentant l'horizon des Pomotou : "Je souhaite la garder longtemps car, eu égard aux vahinés des camarades, soûlardes, tarées, phtisiques, c'est une excellente acquisition."
Manga-Reva & Tahiti 22 février & 1er mars 1903, 11,2x17,7cm, 6 pages 1/2 sur 2 doubles feuillets.
Double lettre autographe de Victor Segalen adressée à Emile Mignard. Six pages et demie rédigées à l'encre noire sur deux doubles feuillets. Pliures transversales inhérentes à l'envoi.
Emile Mignard (1878-1966), lui aussi médecin et brestois, fut l'un des plus proches amis de jeunesse de Segalen qu'il rencontra au collège des Jésuites Notre-Dame-de-Bon-Secours, à Brest. L'écrivain entretint avec ce camarade une correspondance foisonnante et très suivie dans laquelle il décrivit avec humour et intimité son quotidien aux quatre coins du globe. C'est au mariage de Mignard, le 15 février 1905, que Segalen fit la connaissance de son épouse, Yvonne Hébert.
Belle lettre relatant la découverte de Manga-Reva et les jouissances polynésiennes de Segalen.De retour du sauvetage des Îles Pomotou, dévastées par un cyclone, Segalen découvre de nouvelles terres polynésiennes, notamment l'archipel des Gambier et l'île de Manga-Reva :
« Manga-Reva mon bien cher Emile, c'est la terre capitale du groupe des Gambier. Enfin, ça nous change après notre périple funèbre à travers les Pomotou dévastées, de voir des arbres qui sont encore debout, et des cases intactes : puis, pour les natifs des Îles Basses que nous avons à bord, c'est un étonnement que d'apercevoir une montagne, des lignes ondulées d'horizon. En effet : schéma des Pomotou : [un petit dessin de la main de Segalen figurant une plaine et des cocotiers]
Manga-Reva au contraire dresse deux pics de 400 m (presque le Menez Hom ! [L'un des points culminants de la Bretagne avec ses 330 mètres d'altitude]
) au bas desquels nous avons mouillé hier. » Segalen semble enchanté de la découverte de ce nouveau territoire (
« Pas de confrères, en ces terres paradoxales ; les indigènes-clients sont nombreux ; dociles et respectueux. ») et des ressources dont il regorge :
« Ce tout petit patelin ne manque pas de charmes. Un climat très tempéré et des fruits en surabondance. Bananes. Mangues. Oranges. Ananas. J'approvisionne le carré de desserts abondants, honoraires de mes consultations. » Mais le jeune européen s'est pris de passion pour une autre richesse polynésienne :
« Une nouvelle passion : les Perles. En France, elles semblent mortes, pâles. Ici, on les palpe, on les malaxe, on les caresse avec une certaine volupté. On les connaît comme des personnes, les belles Perles de la colonie. Elles ont leurs étapes, leurs files d'acquéreurs ; leur vie propre, aussi, car certaines meurent, littéralement. J'ai été heureux, pour mes débuts ; j'ai acheté pour 15 piastres chiliennes, soit 30 f, une jolie petite perle de un carat que l'on m'a estimée, au cours de Paris, au bas mot 150 f. C'est au fond une façon de ne pas mal placer son argent. Mais celle-là et ses futures congénères, je m'en séparerai peu probablement. Ce sera très suave, au retour, de faire monter cela finalement chez l'ami Lalique. Ou encore, de confier aux frères Hamms une grande nacre opalescente pour monter sur étain, en coupe à fruits. »Dans la seconde partie de cette lettre, rédigée depuis Tahiti où il est revenu, Segalen décrit ses journées après ce retour au calme :
« Me suis définitivement installé à terre. Jusqu'à présent, pas encore l'aveulissement colonial : j'achève, pour le Gouverneur qui le destine à Armée et Marine un récit du cyclone et de la tournée de la Durance. » Le 12 avril 1903 paraîtra en effet un long article intitulé « Vers les sinistrés – Cyclone des Îles Tuamotou 7 janvier 1903 » et dont voici un extrait : « Ainsi, l'Europe casanière apprendra que les îles Pomotou existent, puisqu'elles viennent d'être dévastées ; que des gens y habitent, puisque l'on compte, en une seule d'entre elles, près de quatre cents morts ; que la pêche des perles et des nacres y était fructueuse, puisque les pêcheries sont ensablées, ruinées pour longtemps. » Cette rédaction studieuse s'accompagne d'un apprentissage :
« Je travaille ferme mon Tahitien. Pas ce sabir informe qu'on éructe à tort et à travers, mais l'ancien langage Maori. Mara, mon indigène épouse, et qui ignore absolument le Français, me sert de professeur authentique. » L'évocation de cette vahiné, avec laquelle il entretient une relation depuis son arrivée en Polynésie, est là encore l'occasion d'allusions grivoises et sensuelles :
« J'aspire néanmoins, de temps à autre à enfin embrasser une femme autrement qu'en Anglais, qu'en Canaque…N'importe : elle ne détonne pas de mon cadre exotique. Je la possède avec une jouissance éprouvée à boire un coco frais ou à peler une mangue. Elle sent d'ailleurs le fruit. Ni plus, ni moins. Je souhaite la garder longtemps car, eu égard aux vahinés des camarades, soûlardes, tarées, phtisiques, c'est une excellente acquisition. »Très belle et longue lettre, important témoignage des débuts de Segalen en Polynésie.
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